Universités populaires en France et ailleurs

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Universités populaires, en France et ailleurs

Universités Populaires, en France et ailleurs

Hugues Lenoir

L’idée d’une éducation populaire est ancienne en France, elle remonte à Condorcet et à son souhait d’une éducation du peuple, pour le peuple par le peuple et plus tard à Pierre-Joseph Proudhon, inventeur de la Démopédie. Francisco Ferrer promoteur de la pédagogie libertaire en fut aussi un partisan. « J’organisai, écrit-il, une convention (réunion) […] afin de créer dans l’Ecole moderne une université populaire (UP) où (la) science se donne gratuitement au peuple, comme une espèce de restitution, dès lors que tout être humain a le droit de savoir et que la science ne doit pas être liée à une classe »1. Quant aux anarcho-syndicalistes, ils considéraient que les UP devaient être l’université des ouvriers.

Il existe dans toute l’Europe des initiatives d’Education populaire ou Educ-pop qui s’inscrivent peu ou prou dans les définitions suivantes. Pour Alexia Morvan ce sont des pratiques d’éducation qui visent :

« explicitement à soutenir l’exercice politique des citoyens en vue de leur émancipation et de la transformation sociale »2.

Pour Jean-Rémi Durand-Gasselin de Peuple et culture, l’éduc-pop :

« c’est se retrouver sur une éthique commune qui implique des façons de faire et des prises de décisions collectives, sollicitant la participation de tous et visant des idéaux généraux humanistes de partage du pouvoir, du savoir, et de l’avoir »3.

Ces structures d’éducation populaire selon les lieux et les époques prennent le nom d’Université populaire, d’Athénée, d’atelier, de réseaux, de laboratoire voire de bibliothèque sociale… En France, les Universités populaires (UP) ne sont pas une mode récente liée à l’aura de celle lancée par Michel Onfray à Caen dans le Calvados dans les années 2000. Elles s’inscrivent dans une longue tradition historique et éducationniste.

Comme l’a établi Lucien Mercier dont cette contribution est pour une part redevable, la première est née en 1899 à Paris, elle s’intitulait La coopération des idées. Cette simple dénomination est à elle seule révélatrice du projet, pour ne pas dire du programme des UP. Il s’agissait à la fois d’associer les idées et les hommes d’origines sociales fort différentes, les uns issus du monde ouvrier et les autres de la sphère intellectuelle. Cette rencontre possible entre deux mondes jusque-là étrangers est la résultante de l’Affaire Dreyfus où dans le cadre du soutien à ce dernier, une partie du prolétariat radical côtoiera ceux que l’on appelle depuis lors « les intellectuels ».

Cette première université parisienne fut le résultat de l’improbable rencontre de l’autodidacte Georges Deherme (1867-1937) ancien sculpteur sur bois, typographe de culture anarchiste et de Gabriel Séailles (1852-1922), républicain, professeur de philosophie en Sorbonne qui sera l’un des fondateurs de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH). Cette initiative où se fréquenteront le bourgeois en jaquette soucieux d’aller au peuple et l’ouvrier en bourgeron, (une veste de travail traditionnelle) curieux de comprendre le monde et son siècle. Au-delà du cas Dreyfus, dans cette période l’éducation est au cœur de la réflexion sociale. Dans le même temps, les Bourses du Travail qui soutiendront l’effort d’éducation des universités populaires se retrouvaient déjà autour de la phrase emblématique de leur animateur Fernand Pelloutier (1867-1901), « Instruire pour révolter ».

En effet, pour les syndicalistes révolutionnaires, l’UP complète la Bourse, elles œuvrent dans la même direction :

« que les universités populaires, que les bibliothèques d’éducation libertaire, après avoir fait des individus débarrassés de tous les préjugés…, deviennent des pépinières de militants, d’apôtres qui s’en iront dans toutes les organisations ouvrières » (Mercier L.1986, p.58)4.

Même si les tenants du socialisme autoritaire regroupés autour de Jules Guesde et du Parti ouvrier français (POF) firent un accueil très réservé aux UP, elles furent comme leur nom l’indique réellement populaires et bien reçues dans le monde du travail et par ses organisations.

Pourtant les UP sont le résultat d’une association de circonstances à un moment où il y a, il est vrai, un grand appétit de savoir dans la classe populaire et où des intellectuels progressistes souhaitent s’associer avec elle. Ce sera à la fois la cause de l’immense succès des UP et probablement aussi la cause de leur disparition ou pour le moins de leur raréfaction. En effet, après un moment de convergence, les acteurs des UP divergeront sur leurs objectifs et leurs finalités. Les uns y voient, au-delà des savoirs transmis, un outil de réconciliation des classes ; les autres y voient un levier d’émancipation économique et sociale.

Le développement des UP fut fulgurant, 15 à la fin de 1899, 116 en 1900, 124 en 1901 et 230 au total jusqu’en 1914. Elles compteront environ 50 000 adhérents, quelques dizaines pour les unes et quelquefois un millier comme à L’Emancipation du XVème arrondissement à Paris. Ceux qui les fréquentent sont des hommes et des femmes, parfois en famille, de milieux divers : employés, petits bourgeois, ouvriers, militants… Il s’agit d’un mouvement plutôt urbain qui se développe d’abord à Paris qui en comptera 38 puis en banlieue où elles seront au nombre de 31 et dans les villes industrielles de moyenne importance, 60 UP seront constituées dans des villes de 30 000 habitants. La plupart d’entre elles, 80 %, furent une initiative d’origine ouvrière.

Rapidement, les contradictions internes entre les acteurs et les projets apparaissent d’autant que les intellectuels y prennent une place prépondérante, ils président, ils programment, ils interviennent et animent les débats. Seuls 10 % des conférences seront prononcées par des ouvriers. Au-delà de l’écart entre les attentes des auditeurs avides de sujets touchant à la question sociale et le vocabulaire et les apports du monde savant, une fracture se fait rapidement jour entre les tenants de la République radicale bourgeoise et ceux de la République sociale. En effet,

« beaucoup d’ouvriers parisiens…, producteurs soucieux des lois de la production et de leurs conséquences, ont abandonné les Universités populaires. Ils n’y trouvaient pas ce qu’ils étaient venus y chercher ». (Ibid., p.114).

Cette fracture politique et pédagogique aura pour conséquence un affaiblissement rapide du mouvement des Universités populaires déjà menacé par les difficiles conditions de travail des ouvriers (journée de 12 heures voire davantage), la rareté et l’éloignement quelquefois important des salles de réunions… Ainsi

« si grande soit l’envie qu’on puisse avoir de belles et fortes choses, faut-il encore être dispos pour les voir, les entendre et en jouir ». (Ibid., p.120)

Malgré cet échec relatif, le mouvement des UP favorisera l’émergence d’une sociabilité nouvelle, moins masculine, plus familiale où au-delà des causeries savantes naîtront aussi des bibliothèques, des réflexions sur le logement social, des actions anti-alcooliques, des représentations théâtrales et parfois même des manifestations concrètes de solidarité ouvrière ou non comme des caisses de prévoyance, des consultations médicales, dentaires ou encore juridiques…Malgré la persévérance des derniers « upistes », le coup de grâce au mouvement des universités populaires première époque sera portée par l’immense tuerie de 1914.

Notons que face à la prépondérance des intellectuels et du cours magistral dans les UP, les anarchistes de sensibilité individualiste autour d’Albert Libertad et du journal l’anarchie animeront des Causeries populaires, beaucoup plus coopératives et participatives. Dans l’esprit des Universités populaires et contre les risques d’aliénation de la culture dominante, les anarchistes inventèrent le Cinéma populaire dans le cadre d’une coopérative. Une aventure d’éducation peu connue qui mérite d’être évoquée ici.

« L’idée de la coopérative du Cinéma du Peuple prend forme lors du premier congrès national de la Fédération communiste anarchiste révolutionnaire (FCAR) qui se déroule du 15 au 17 août 1913 […]. Un soir, quelques amis se sont rencontrés. Il y avait dans cette réunion quelques bons militants parisiens, et nous avons parlé du « Ciné » et de son emprise funeste sur le cerveau du Peuple. Les « Nick Carter », les « Fantômas » et autres produits débités par tranche chaque soir dans les cinémas des faubourgs, passèrent un mauvais moment. « Mais le remède ? » dit quelqu’un. Le remède, ou plutôt le contre-poison, est de faire du cinéma nous-mêmes, de créer par nous et pour nous des films et de défendre nos idées de justice sociale par l’image » ! […] Son œuvre la plus remarquable : La Commune ! Du 18 mars au 28 mai 1871 conçue par le scénariste et acteur Armand Guerra »5.

Comme pour les dernières UP, comme pour l’école libertaire la Ruche de Sébastien Faure, la terrible première Guerre mondiale mit fin à l’existence de nombreuses UP et un terme définitif au Cinéma du Peuple.

Le renouveau des universités populaires

Si l’Université populaire de Caen en Normandie a marqué publiquement le retour et le redéploiement des Universités populaires, il est à noter que quelques années avant déjà des auteurs comme Geneviève Poujol en 1982 pointait le renouveau de universités populaires (1983, document INEP de Marly le Roy). Ainsi depuis une vingtaine d’années, on assiste à une explosion de nouvelles universités populaires. On y trouve une grande diversité de modèles, selon des objectifs et des réalisations diverses. Ces universités n’accordent pas la même signification à la formulation du type « Education Populaire » : soit l’idée est de faire accéder au « Savoir », aux connaissances, au Patrimoine culturel réservés à certaines classes sociales privilégiées, soit c’est la volonté de voir le peuple participer activement et directement à des activités artistiques, culturelles, sportives, de loisirs, en plus grand nombre, pour favoriser son épanouissement. Certaines à but lucratif sont des organismes de formation déguisé en UP.

Dans celles qui s’inscrivent dans la tradition historique, une fois de plus deux modèles se concurrencent en fonction de surdéterminations idéologiques. Le premier plutôt animé par une « élite culturelle » se propose d’aller au peuple pour l’éduquer et lui permettre d’accéder à une forme de conscientisation et d’autonomie. L’autre courant plus radical autogestionnaire et plus émancipateur tente à mettre en œuvre le souhait de Condorcet. A savoir l’éducation du peuple par le peuple et pour le peuple. Certains dans cette perspective se réclament de la Démopédie proudhonienne et de la capacité politique et pédagogique des classes populaires.

 

La Dionyversité et l’Université populaire et libertaire

Premier exemple de ce second courant auquel je me limiterai, la Dionyversité, du nom des habitants de Saint-Denis en Ile de France appelés les dionysiens. En effet, si le mouvement des UP se meurt en 1914, le projet ne fut jamais totalement abandonné et d’ici, de là, de nouvelles Universités populaires, quelques fois éphémères, voient le jour. C’est le cas de celle de Saint-Denis en région parisienne, la Dionyversité qui a repris en guise de sous titre La coopération des idées pour faire un lien direct avec les origines historiques et le projet éducatif et social des anciennes UP. Elle est à l’initiative et portée par une petite équipe militante locale. Elle a ouvert ses portes le 26 février 2008. Elle n’est pas le fruit d’une recherche théorique a priori ou de longues discussions autour d’un projet. Elle est le résultat de la pratique, la suite quasi naturelle d’une action militante de proximité. En effet, depuis plusieurs années, une association locale proposait une conférence mensuelle autour de la croyance et de la religion où la participation était assez importante. Avec le temps, une demande de nouveaux thèmes d’intervention a vu le jour. Les auditeurs de ces conférences souhaitaient élargir les sujets de réflexions autour du fait religieux à des sujets de société, à du social, du politique. Ils formulaient des demandes, des propositions, des envies. L’université populaire était en germe.

Ceux qui en furent à l’origine sont animés de valeurs. Ils adoptèrent dès lors quelques principes élémentaires qui guidèrent leur action. Principes partagés par de nombreuses UP d’ailleurs.

– La gratuité totale, ce qui ne signifie pas que cette organisation n’a pas de coût et ce qui implique de trouver les moyens de son fonctionnement. A cette fin, la Bourse du Travail du Saint-Denis lui a ouvert ses locaux et la ville participe à l’affichage des programmes.

– Aucune procédure administrative : pas d’inscription, pas d’adhésion, tout participant est membres de l’association de fait.

– Pas de niveau requis pour l’entrée dans un cycle, pas de contrôle des connaissances, pas d’examens, ni de diplômes délivrés. L’UP s’inscrit dans une logique radicale d’Education permanente à visée citoyenne.

– Interventions de qualité ce qui implique un travail de repérage et de « recrutement » des intervenants sur des bases très claires : des cycles courts (8h maximum) et une action totalement bénévole.

A l’origine, chaque cycle se déroule sur de 4 séances, au rythme d’une séance par semaine durant un mois. Deux cycles avaient lieu en parallèle sur deux soirées de 19 à 21 heures. Les séances sont organisées afin que la participation des auditeurs soit possible, une heure d’intervention, une heure d’échanges collectifs et/ou avec le « conférencier ». La Dionyversité s’inscrit donc bien dans la tradition des Universités populaires, à savoir délivrer des contenus de qualité et de bonne tenue, accessibles à tous. Mais elle vise aussi à laisser une large place à la critique et à la participation des auditeurs-acteurs pour ne pas retomber dans le travers pédagogique des UP historiques trop bavardes et trop « savantasses ». Elle se propose d’informer sur des thèmes divers, d’interroger les représentations voire de favoriser la conscientisation des publics sur des sujets variés d’histoire, d’actualité, de société… Elle a pour objectif de favoriser la prise de parole individuelle et collective, d’encourager au débat, à la controverse et à l’élaboration collective afin de sortir de la domination et de la soumission à la parole des « maîtres ». Chaque cycle fait l’objet d’un quatre pages, rédigés par les intervenants et diffusé gratuitement. Chaque intervention est enregistrée et écoutable sur le site de l’UP.

Depuis 2010, elle a programmé, parmi d’autres, un cycle sur l’Education populaire, la surveillance généralisée, la caricature, les femmes philosophes, femmes révolutionnaires, Willem Reich, la critique des média, l’autogestion, le décodage de l’économie… Jusqu’à présent, selon le thème abordé, chaque soirée réunit en entre 15 et 75 personnes. Ce programme de la Dionyversité est éclectique : de fait il est à l’image de ses auditeurs et de leurs centres d’intérêts. Elle a aussi accueilli un cycle sur la Guerre d’Algérie, un cycle autour des travailleurs sans papiers, un sur la peinture classique et moderne, enfin un sur la vieille et toujours brûlante question posée par La Béotie, à savoir celle de la Servitude volontaire. A partir de 2015, le rythme de ces soirées s’est ralenti sans cesser pour autant. La Dionyversité a par exemple traité récemment de l’urbanisme et de la géographie urbaine. Afin de tenir informer ses « adhérents », elle publie régulièrement un bulletin

De plus l’Université populaire a organisé ponctuellement des spectacles de conscientisation à prix libre. Ainsi Franck Lepage anima la soirée lors de l’inauguration de l’UP et Jean Pierre Levaray auteur de la pièce Putain d’Usine fut invité à y faire représenter sa pièce. Ces spectacles sont accueillis au théâtre de la Compagnie Jolie Môme en résidence à Saint-Denis.

Enfin, elle a développé des sorties à thème comme celle programmée pour juin 2009 sur le site du Familistère de Guise (Oise) fondé par Godin au 19e siècle, haut lieu de la culture utopique, autogestionnaire et industrielle en région Picardie ou encore d’organiser des soirées plus larges comme celle proposée lors de la venue du philosophe Michel Onfray sur le thème : « Engagement, militantisme, et plaisir ».

Son public qui mériterait une approche sociologique et motivationnelle approfondie est majoritairement de Seine-Saint-Denis (95) en particulier de la ville de St Denis, elle-même mais de nombreux auditeurs-acteurs viennent aussi de Paris ou d’autres villes de banlieue d’autres départements de la Région parisienne (RP). Ce qui permet de formuler l’hypothèse d’une demande réelle et forte pour ce genre d’initiative en rupture avec la langue de bois et la pensée unique. L’assistance, souvent très assidue, est composée d’hommes et de femmes (60/40), de 25 à 75 ans, actifs ou retraités. Parmi eux et elles : des employés, des ouvriers, des agents territoriaux, des étudiants et des enseignants, des chômeurs…

Dans l’esprit des animateurs de la Dionyversité, le rôle de l’université populaire ne doit pas se limiter pas à la culture intellectuelle, elle doit aussi s’intéresser aux nourritures terrestres Ainsi depuis 2010, a été mis en place une AMAP (une structure en circuit court qui distribue des produits alimentaires de qualité, 250 paniers hebdomadaires). L’activité la Dionyversité s’est encore élargie avec l’ouverture de trois coopératives de consommation autogérées sur St-Denis : les Diony-coop, La Ferme en mai 2015 ; Bel Air en novembre 2016 et début 2020 La Gare. Car se nourrir avec des produits de qualité issus de circuits courts et qui plus est à prix coûtant c’est aussi s’éduquer. Afin de fédérer d’autres coopératives la Fédération des Coopératives Alimentaires Autogérées a été créée début 2019 (http://fede-coop.org/).

Autre exemple l’Université populaire et libertaire du 11e arrondissement de Paris animée par des militants du groupe Commune de Paris de la Fédération anarchiste depuis 2015 dans une librairie parisienne Publico ou au local Louise Michel. Cette université programme une fois par mois, soit des soirées thématiques autour de documentaires sociopolitiques, des projections/débats dans le cadre du Ciné de la commune, soit des interventions/discussion avec un auteur-e : les Causeries de la Commune, soit encore des représentations de spectacle vivant, les Rendez-vous de la Commune. Ainsi ont été organisés un cycle sur la Révolution espagnole, un sur les films du groupe Medvedkine, une causerie sur les illégalistes, un spectacle autour du poète anarchiste Jacques Prévert.

Comme beaucoup d’autres, ces deux Universités populaires autogestionnaires s’inscrivent dans une tradition plus large, celle de l’éducation populaire qui depuis plus d’un siècle vise à la conscientisation, au sens Paolo Freire, et à l’émancipation individuelle et collective par le développement de la distanciation et de l’esprit critique. Elles sont à leur manière héritières des pratiques et de l’éthique de Fernand Pelloutier et des Bourses du travail des années 1890 dont l’une des finalités était de permettre à chacun-e de s’« éduquer pour [se] révolter » et de prendre conscience de « la science de son malheur ». En d’autres termes de se dessaisir de sa condition de dominé-e, afin de pouvoir agir à sa libération et afin de devenir un individu « fier et libre ».

Un mouvement en développement

Les deux exemples d’UP décrits en Ile de France sont illustratifs du ton de liberté et de créativité. D’autres Universités populaires, humanistes, « socialistes »… existent en France, puisque dans les années 2010, 100 000 personnes, chaque année, suivaient des « enseignements » dans 70 villes, sous formes d’ateliers, de cafés philosophiques, de carrefours européens, de pratiques diverses… et bien sûr d’UP.

Avant même Onfray, depuis longtemps d’autres acteurs comme Le Mouvement ATD Quart Monde avait créé en 1972 des universités du Quart monde que ce soit en France, dans 8 régions comme Alsace, Bretagne, Champagne Ardennes, Ile de France, Nord Pas de Calais, Normandie, Provence, Alpes, Côte d’Azur, Rhône-Alpes, en Belgique ou en Espagne, où des citoyens pauvres se réunissent sur des questions comme le droit de vivre en famille, l’accès au logement, à l’éducation, au travail, les enfants, le beau, l’art, l’internet, l’Europe… Mouvement qui perdurent aujourd’hui. De son côté le Secours populaire depuis quelques années prend des initiatives dans ce sens dans plusieurs villes.  

En France, depuis deux décennies des Universités populaires ont vu le jour dans la plupart des grandes villes de l’hexagone : à Paris, Nîmes, Lille, Lyon, Bordeaux, Grenoble, Toulouse, Clermont-Ferrand, Nice, Brest, Nantes Dijon, Marseille, Strasbourg, Nancy, Chambéry… et dans de nombreuses villes de France moins importantes

À l’international

Au niveau international, les Universités populaires, sont aussi présentes sur le terrain d’une éducation populaire tant du point de vue historique que dans l’actualité sociale et culturelle du 21e siècle. Leur appellation peut être différentes (voir supra) dans certains espaces géographiques mais les intentions émancipatrices demeurent. Malgré cette renaissance des UP peu de travaux sont disponibles à ce jour et pour les repérer et connaître leur mode d’intervention et de fonctionnement, pour cela il convient d’aller sur le site de chacune d’elle. Néanmoins le travail de J.-C. Richez de 2018 permet de documenter la réalité des UP en Allemagne, Italie et Suède.

Pour le reste quelques contacts personnels me permettent de faire état du dynamisme des UP dans toute l’Espagne dont la Catalogne, en Italie, en Argentine et au Brésil.

Ramon Pino me confiait il a quelque temps déjà :

« La péninsule Ibérique a toujours été une terre fertile pour l’éducation populaire et ce bien au-delà des libertaires. De nombreux groupes sociaux dans l’Espagne d’hier et d’aujourd’hui s’y sont engagés ».

Il ajoutait :

« Ces universités existent un peu partout sur le territoire, comme l’Université libre de Sants créée en 2003, ou encore à Madrid l’Université nomade créée en 2001, jumelée avec les Universités nomades brésilienne et italienne, l’Université populaire de Lavapiés fondée en 2010, toujours dans la capitale espagnole ».

L’Italie fut aussi terrain d’éducation populaire avec des premières créations d’UP entre 1900 et 1901. Ce mouvement ne peut pas être compris sans prendre en compte le rôle de la revue L’Universita popolare ( l’Université populaire) animée et dirigé par l’anarchiste Luigi Molinari de1901 à 1918 et qui lui-même avait fondé une UP à Mantoue en 1901.

En Italie aujourd’hui pour donner un exemple. Dans les années 2000 naît l’idée d’un Laboratoire libertaire dont siège social est situé dans une maison située à Marghera (Venise) qui deviendra en 2009 « l’Université des imparfaits »6. Dans cette période comme l’écrit Francesco Codello il y eut :

« plus de 200 initiatives promues qui ont donné lieu à des débats, des présentations de livres, des conférences, des séminaires, des projections, des concerts, des représentations théâtrales, des expositions, etc. Les thèmes ont été et sont multiples : politique, histoire, pédagogie, économie, psychiatrie, art, musique, philosophie, pensée anarchiste, religions et spiritualité, écologie, féminisme, décroissance, animalisme, etc. ».

Enfin ajoute-t-il : « 

« En 2020, le laboratoire libertaire a acquis un nouvel espace dans le même lieu afin de multiplier initiatives et élargir les expressions libertaires encore plus que ce qui a déjà était fait » jusqu’à présent.

En Argentine, les militants de la Fédération anarchiste argentine (FLA) ont créé une « école » pour les adultes dont le slogan officiel est « Ni maître, ni patron, ni directeur » qui à ma connaissance fonctionne toujours en 2020. L’école libre de Constitución, dans le quartier sud de Buenos Aire, est née en 2007 et prépare au bac populaire qui est reconnu nationalement ; mais elle organise aussi de nombreux ateliers et autres activités.

Au Brésil, entre 1900 et 1918, les organisations ouvrières mirent très tôt en place des bibliothèques, des cours d’alphabétisation pour les travailleurs où de nombreux anarchistes. En 2014, à Sao Paulo la Bibliothèque sociale de Sao Paulo a ouvert ses portes, Cette Bibliothèque Terra Livre (https://bibliotecaterralivre.noblogs.org/) est une initiative des compagnons de Sao Paulo. Ils continuent de faire la promotion de cours, de publications et débats d’après le témoignage récent d’Alexandro Samis

 

D’après d’autres sources non libertaires, dans la revue Sciences humaines n°171 en 2006 Catherine Halpern confirmait que les UP se développent également en Europe du Sud. En Italie, l’università popolare est en plein essor : celle de Rome, par exemple, comptait en 2005 près de 24 000 inscrits. Quant à la Fédération des universidades populares d’Espagne, elle regroupe environ 2 millions d’auditeurs. Les UP ne finissent pas d’essaimer et se développent maintenant beaucoup en Europe orientale, par exemple en Roumanie ou en Estonie…

Dans les pays scandinaves existent une très ancienne pratique d’éducation populaire souvent liée au protestantisme qui est toujours d’actualité.

« En Suède, les structures d’éducation populaire se sont développées dans les années 1930 avec pour objectif de lutter contre les inégalités d’accès à l’éducation. Elles sont ouvertes à tous les milieux sociaux en donnant la possibilité aux adultes de se former en dehors du milieu académique »7.

Pour conclure et élargir à d’autres espaces géographiques et montrer en quoi ce mouvement fut (est) universel. L’Université et l’Education populaire essaimèrent dans d’autres temps jusqu’en Egypte où les anarchistes de la colonie italienne d’Égypte créèrent à Alexandrie en 1901 l’Università popolare libera (Université populaire libre, UPL)8.

Ou encore en Chine comme en témoigne le livre récent d’Emilio Crisi :

« D’autres hauts faits permirent aux anarchistes chinois de laisser leur empreinte : [… comme] l’ouverture en 1928, sous l’impulsion des jeunesses libertaires, de l’université nationale ouvrière de Shanghai »9.

Mais c’est une autre histoire, Le monde autoritaire a bien sûr mis fin à de telles initiatives éducationnistes qui lui échappent et émancipent. Le renouveau des UP marquent peut-être une relance internationale d’un besoin de culture non académique, organisé sur des bases autogestionnaires et porteuse d’un autre futur.

Références :

Caceres B., 1974, Histoire de l’éducation populaire, Paris, Seuil.

Collectif, 2012, Education populaire, une utopie d’avenir, Peuple et culture, un humanisme radical, article de C. Delavaux, Paris, Les Liens qui libèrent.

Léon A.,1983, Histoire de l’éducation populaire en France, Paris, Nathan.

Lenoir H.,2009, Eduquer pour Emanciper, Paris, Editions CNT-RP.

Lenoir H., 2012, Pour l’Education populaire, Paris, Editions. du Monde libertaire.

Lenoir H., 2014, Autogestion pédagogique et Education populaire, Saint-Georges d’Oléron, Les Editions libertaires

Mercier L.,1986, Les Universités populaires : 1899-1914. Education populaire et mouvement ouvrier au début du siècle, Paris, Les Editions ouvrières.

Mignon J.-M., 2007, Une histoire de l’éducation populaire, Paris, La Découverte.

Morvan A., 2011, Pour une éducation populaire politique. A partir d’une recherche action en Bretagne, thèse de doctorat en Sciences de l’Education, Paris VIII, p. 4.

Poujol G., 1981, L’éducation populaire, histoires et pouvoirs, Paris, Editions ouvrières.

Richez J.C., 2018, Les universités populaires en France, Un état des lieux à la lumière de trois expériences européennes : Allemagne, Italie et Suède, INJEPR.

Biographie

Hugues Lenoir, enseignant-chercheur émérite, militant anarchiste, auteur de nombreux articles et ouvrages sur l’éducation libertaire, l’éducation populaire, l’illettrisme, la validation des acquis de l’expérience, etc. 

1 Ferrer i Guardia F., 2009, L’Ecole moderne, Bruxelles, BXL laïque, p.76.Entre parenthèse ajout HL

2. Morvan A., Pour une éducation populaire politique. À partir d’une recherche action en Bretagne, thèse de doctorat en sciences de l’éducation, Paris-VIII, décembre 2011, résumé p. 4.

3 Delavaux C., « Peuple et Culture, un humanisme radical », in Éducation populaire, une utopie d’avenir, op. cit., p. 139.

4 Mercier L., Les Universités populaires, 1899-1914, Éditions ouvrières, Paris, 1986.

5 Marinone I., 2020, article Cinéma du peuple, Nouvelle encyclopédie anarchiste, consultable sur : http://www.encyclopedie-anarchiste.xyz/spip.php?article126

6 www.ateneoimperfetti.it

7 https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/l-education-populaire-a-la-53745

8 Gorman A., 2008, « Socialisme en Égypte avant la première guerre mondiale, la contribution des anarchistes », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, http://chrhc.revues.org/index1241.html.

9 Crisi E., 2019, Révolution anarchiste en Mandchourie (1929-1932), Paris, Ed. Noir et Rouge p. 58.

Universités populaires en France et ailleursTélécharger l'article au format .pdfSource : Revue Possibles, vol. 44, n°2, 2020, Montréal, pp. 35-45.

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