Mesure d’impact des dispositifs de formation Partie 4

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IV – Échantillon et discours de Tours et de Vernon

 

La population constituant l’échantillon initial a subi une évolution importante ce qui nous a conduit à la compléter avec des stagiaires issus d’un centre de formation parisien que nous avons traité à part. Cet échantillon initialement constitué de 30 personnes a été précisément analysé dans notre rapport initial. En mars 2005, celui-ci était composé de 22 femmes et de 8 hommes. Face aux difficultés rencontrées pour renouer les contacts avec ces personnes, expliquées en introduction, notre travail a non seulement pris un important retard mais elles ont eu pour conséquences de rendre impossible une nouvelle campagne d’entretiens avec tous les membres de l’échantillon primitif. Notons toutefois que même sans ces dernières il est probable que notre panel aurait connu une certaine érosion. Une telle déperdition est coutumière dans ce type de travail d’enquête. Ces causes les plus fréquentes sont des départs naturels (mobilité géographique, déménagement), désintérêt pour une nouvelle rencontre, rupture du lien avec le dispositif de formation et ses acteurs… Nous avons semble-t-il cumulé plusieurs d’entre elles. En conséquence, l’échantillon initial a été réduit à 15 personnes issues des dispositifs du Centre Alpha de Vernon et du stage « Escale » de la Croix rouge de Tours. Il était composé de 10 femmes âgées de 21 à 54 ans[1] et de 5 hommes âgés de 17 à 47 ans. Notons que pour l’un d’entre eux les informations recueillies téléphoniquement ne sont que fragmentaires. Nous l’avons conservé dans l’échantillon car âgé et en situation d’illettrisme, il a retrouvé suite à la formation[2] un CDD « long » sur un chantier de supermarché en construction. En ce qui concerne les femmes, cinq d’entre elles étaient de nationalité française, les cinq autres d’origine étrangère (Afrique noire, Maghreb, Europe de l’Est). Tous les hommes étaient de nationalité française dont un natif de Mayotte.

 

En matière d’emploi, deux hommes sur cinq travaillaient, un CDD déjà évoqué dans le bâtiment et un CDD dans un abattoir, possiblement transformable en CDI. Les trois autres étaient demandeurs d’emploi. Parmi eux, deux poursuivaient des ateliers de formation ; l’un régulièrement, deux demies journées par semaine, l’autre de temps en temps. Parmi les plus jeunes, deux allaient probablement bénéficier d’un contrat CIVIS.

 

 

Quant aux femmes, aucune ne travaillait plus lors de nos entretiens, mais une avait obtenu un CDD de 6 mois à l’issue de la formation, trois déclaraient avoir fait des « petits boulots » ou de l’intérim, une autre était dans l’attente d’un CES.  Deux poursuivaient leur formation dans le cadre d’atelier de type AFB, l’une 2 demies journées par semaine, l’autre quelques heures par semaine. Une était engagée dans une démarche de validation des acquis de l’expérience (VAE).

 

Enfin, nous avons pu constater, mais ces données sont parcellaires, des évolutions de situations sociales dans trois cas concernant des femmes. Deux d’entre elles, habitaient seule ou à nouveau seule, une s’était mise en couple et habitait dans un logement social avec son compagnon. Notons, que ce jeune couple – aux deux profils proches – a effectué seul et en autonomie l’ensemble des démarches nécessaires à l’attribution de son logement.

 

Dans cette partie du travail afin de permettre de mieux repérer les évolutions et les effets de la formation sur les stagiaires nous avons conservé la même codification que celle adoptée dans le rapport intermédiaire. Ainsi un stagiaire apparaissant comme E1-A dans le premier document (rapport d’étape) apparaît dans celui-ci comme E1-A2. Rappelons que suite à une déperdition d’une partie de l’échantillon tous les E n’apparaissent pas ici sous la forme E-2. Dans le même esprit, nous avons adopté un plan quasi identique ici. Il conserve donc toutes les catégories utilisées pour les stagiaires AEFTI auxquelles nous avons ajouté celles nécessaires au traitement des informations complémentaires recueillies à Vernon et Tours. Comme pour l’échantillon parisien, nous avons procédé à quelques reformulations quand nous l’estimions nécessaire à la bonne compréhension du lecteur. Nous avons, afin, de consolider nos constats et illustrer nos analyses, conservé et utilisé pour ce rapport final la totalité de l’échantillon.

 

4.1 – Objectifs et motivations des stagiaires

 

Les objectifs et les motivations des stagiaires Alpha et Escale sont proches de ceux des stagiaires de l’AEFTI même si le niveau d’exigences en matière de savoirs de base peut être différent. Ce niveau d’exigence s’explique probablement par la nature des publics, assez cohérente dans le premier cas alpha/FLE, plus diversifiée dans le second : alpha, FLE, adultes et jeunes adultes en situations d’illettrisme.

Néanmoins, il apparaît à l’évidence que l’objectif et la motivation prioritaires sont l’apprentissage ou le ré-apprentissage, voire un désir de maîtrise, des savoirs de base en particulier ceux relevant du lire et de l’écrire.

 

« Pour mieux me débrouiller en français » (E1-C2).

« Déjà, j’attendais de savoir mieux lire et mieux écrire » (E3-C2).

« Pour vraiment apprendre à lire, apprendre à lire quelque chose » (E8-A2).

« Réapprendre tout ce qui me manquait comme base » (E6-A2)

 

Plus rarement, au moins de manière explicite dans les entretiens, le calcul ou les savoirs d’une autre nature sont toujours associés, conjugués avec l’écriture et la lecture.

 

« Déjà, c’est savoir compter, savoir écrire » (E4-A2).

« Déjà pour essayer de mieux me débrouiller en lecture et en maths avant tout » (E8-B2)

« Je m’étais inscrit à cette formation, c’était pour me perfectionner dans l’écriture, comment m’exprimer et en savoir plus parce que je ne connaissais pas tout et surtout l’histoire, parce que ça, ça m’a super aidé. Parce que moi les infos je ne connaissais rien du tout » (E2-C2).

 

Quelquefois, sont associés aux objectifs d’apprentissage d’autres objectifs comme pour E4-A2 qui déclare être inscrit en formation pour « M’en sortir » ou comme E3-C2 ou E6-A2 accéder grâce à l’écriture à une réelle autonomie.

 

« J’aimerais bien savoir bien lire, bien écrire, pas besoin de demander à mes parents, faire tout, toute seule et rien dire à mes parents. Des fois, j’ai des choses à dire à des personnes mais je n’aimerais pas que mes parents le sachent. Et ma mère, elle est obligée de savoir si je fais des fautes »

(E3-C2).

« Pour m’en sortir dans la vie courante. Pour manier tout ce qui me manquait à la base. Je sais lire mais il faut que je continue » (E6-A2).

 

Plus prosaïquement et plus rarement aussi, compte tenu de la rareté des financements, certains stagiaires sont inscrits dans ce type de stage pour des raisons de mieux être, voire de survie économique.

 

« Avant j’étais ici (le stagiaire continu de se former et est retourné après un second stage dans le premier dispositif) et je n’étais pas rémunéré et puis X m’a emmené à Y où je faisais le même nombre d’heures qu’ici. Et comme c’était rémunéré, c’était plus avantageux, c’est vrai. Maintenant ici, je ne suis plus rémunéré » (E12-A2).

 

D’autres poursuivent ces formations, au-delà des apprentissages de base considérés bien souvent comme incontournables, pour trouver un travail.

 

« Essayer de trouver un travail après » (E8-B2).

« Trouver un travail » (E7-B2).

 

Quelques-uns encore au-delà des apprentissages de base, viennent comme certains stagiaires parisiens, par le truchement de la formation découvrir la culture et les modes de vie locaux.

 

«Pour apprendre à lire, à écrire et à découvrir qu’est-ce que la législation parce que quand on vient d’un pays à l’autre, on ne sait pas qu’est-ce que c’est, on ne sais pas comment vivre » (E3-B2). 


 

En règle générale les objectifs d’apprentissage ou de ré-apprentissage, même si on ne peut pas en mesurer l’étendue exacte faute d’évaluation réalisée par nos soins, semblent atteints aux dires des stagiaires au moins partiellement. Ce qui dénote par ailleurs une satisfaction quant aux apports de la formation vécue et reçue.

 

« Oui, je lis plus facilement, écrire c’est très difficile[3] (…). J’écris mieux, lis mieux et je pense parler mieux » (E4-B2).

« Il y a beaucoup de trucs qu’on a appris, à bien lire parce que je sortais de 4e, je n’avais pas beaucoup de formation. Grâce à X, on a bien appris, à lire, à écrire, en mathématiques, à parler, rencontrer des gens » (E7-B2).

« Oui, quand même, j’ai un classeur gros comme ça » (E6-A2).

 

En matière d’emploi, pour ceux et celles qui étaient aussi dans cette dynamique prioritaire, les résultats sont moins probants et souvent la cause d’une réelle et profonde déception.

 

« L’objectif de trouver un travail, il n’y a pas de travail (…). Ça va mais on n’a pas trouvé de travail » (E7-B2).

« Au niveau des matières, oui, mais le travail, c’est dur à trouver » (E8-B2).

 

4.2 – Adaptation aux besoins et nouveaux besoins

 

Assez généralement, compte tenu de l’échantillon rencontré et des lieux de stages, la formation semble avoir correspondu aux besoins et/ou aux attentes des stagiaires.

 

« Oui, j’ai trouvé ça bien » (E8-B2).

« A moi, personnellement oui » (E4-C2).

« Pour moi, c’était bien mes besoins, ça me correspondait. Pour moi, je pouvais suivre » (E12-A2).

« Oui, aux besoins de chacun (…) Moi, j’avais un niveau différent, il y en avait d’autres qui avaient aussi un niveau différent » (E6-A2).

 

L’apparition de besoins nouveaux de formation ne fut que rarement formulée par les interviewés, sans doute par manque de connaissance d’autres possibilités. E7-B2 ne formule aucun besoin nouveau : « Pour moi, ça va » et E3-C2 continuerait sur la même voix : « Si j’en faisais une autre, ce serait dans le même genre ». Lorsque ils sont évoqués, ils le sont de manière très vagues : « Oui, quand même » (E6-A2).

 

 

Notons toutefois qu’au-delà des savoirs de base, certains stagiaires ont apprécié ou auraient apprécié des apports et des ouvertures sur d’autres types de connaissances et/ou de savoir-faire qui peuvent, à notre sens, être d’excellents supports, des occasions de relance des dynamiques d’apprentissage ou de maintien de la motivation à apprendre en cours de formation.

 

« Il y a des matières que j’avais jamais faites qu’X nous a fait apprendre, le cartonnage, l’encadrement. Moi, j’ai trouvé ça bien » (E8-B2).

«On aurait pu continuer quand même. Ça a été dommage pour tout le monde. Apprendre plus sur les choses de base, par exemple en cuisine, des choses de la vie » (E6-A2).

 
 

4.3 – Environnement social et inscription en formation

 

Très majoritairement comme pour les stagiaires de l’AEFTI, les environnements familiaux en particulier sont favorables à l’engagement en formation. Soulignons dès à présent que, pour nous, ce soutien des entourages personnels et sociaux est sans doute l’une des conditions majeures de l’inscription en formation et de la réussite en matière d’acquisition des savoirs. En d’autres termes, au-delà de la motivation personnelle des apprenants, l’encouragement et le support des entourages sont probablement presque aussi déterminants que l’implication des stagiaires eux-mêmes. Une sensibilisation des environnements apparaît dès lors comme incontournable et un gage de réussite des dispositifs. Malgré tout, une minorité de stagiaires va à l’encontre des avis de l’environnement et persiste à vouloir suivre une formation. C’était le cas de E6-A2 qui a connu des résistances familiales et qui en fin de formation déclare encore : « Il (son entourage) ne pense pas la même chose que moi. Moi, j’ai bien aimé ».

 

Pour les autres, le soutien et les encouragements de l’entourage sont une incitation précieuse pour la formation :

 

« Oui, il était pour que je me forme. Ils disaient quand je parlais avec eux : « comme tu veux, tu peux » (E7-B2).

« Il a pensé que c’était bien pour moi. Je progresse, je parle mieux français » (E4-B2).

 

Ces encouragements, voire ces incitations, sont d’origines multiples selon l’âge ou la situation des apprenants. Pour les plus jeunes éléments de l’échantillon, ils sont la plupart du temps le fait des parents.

 

«Ils m’ont dit si tu veux le faire, fais-le. C’est mon père qui a trouvé la formation. Moi, après je suis venu » (EA-A2).

 

Encouragement à s’inscrire qui au fil du temps prend des allures d’évaluation et fait oeuvre de renforcement positif et de réassurance en matière d’apprentissage.

 

 « Moi, ma mère, elle trouve que j’ai beaucoup amélioré, tout le monde dans ma famille le dit (…). Il y en a qui disent que c’est très bien » (E8-B2).

« Ils ont trouvé que c’était bien et le soir je montrais mes cahiers, ce que je fais la journée. Ils disent que c’est très bien » (E5-A2).

 

Pour les plus âgés, les encouragements et le soutien viennent, là encore selon les cas, des maris, des enfants voire de la parentèle proche comme la cousine de E6-C2. Ici encore des traces d’évaluation positive.

 

« Mes enfants, ils m’ont dit que c’était bien ce que je faisais. Même ma fille, elle m’a dit que je sais mieux écrire qu’avant » (E12-A2).

« Eh bien, dans ma famille, mes enfants ils ont dit : « maman est retourné à l’école, c’est super, je ne suis plus tout seul » ! Mon mari, il a été content parce que je lui posais des questions » (E2-C2).

 

Dans un cas la démarche est commune même si l’incitation vient de l’un des membres du couple.

 

« Mon mari, il ne dit rien, c’est bien. Lui aussi, il vient des fois faire de l’ordinateur à X. Mon mari, c’est lui qui m’a encouragée » (E3-B2).

 

L’accès à l’information est un autre élément important pour rendre l’inscription possible comme nous l’avions signalé dans le premier rapport. Nous avions vu aussi combien les intermédiaires étaient des acteurs souvent incontournables dans les démarches préalables aux inscriptions. Soit pour informer et conseiller :

 

« Moi, je suis passé par la mission locale » (E6-C2).

« Je suis passé par madame X. Madame X m’a dit qu’il y avait (un stage) à Tours » (E2-C2).

« J’ai été à l’ANPE m’inscrire, c’est l’ANPE qui m’a envoyé ici et quand je suis arrivé ici, ils m’ont dit de ramener les papiers et tous les papiers qu’ils m’ont demandé, je les avais » (E3-B2).

 

Soit dans plusieurs cas, participer directement à la constitution voire à la rédaction du dossier administratif nécessaire pour s’inscrire.

 

« Oui, des fois, c’était les formatrices. Il y avait des questions à remplir. C’est elles qui le faisaient. Des fois pour remplir les questionnaires, c’est dur (…). Oui, elles me l’ont fait, elles m’ont aidé un peu. J’en ai fait mais quand c’était trop compliqué, elles m’aidaient » (E12-A2).

« Je n’ai pas eu de problème. Quand je suis revenu, ils m’ont posé des questions. Ils ont monté le dossier et ça a passé » (E.8-A2).

« Non, ça s’est bien passer, c’était X (une formatrice) qui s’était occupée de m’inscrire » (E6-A2).

 

 

Cette aide technique, malgré des gains en matière d’autonomie, sur lesquels nous reviendrons, persiste encore pour finaliser les projets de prolongation du parcours.

 

« Enfin, elle fait un peu tout madame X, mais elle m’aide beaucoup question des démarches. Il y a des démarches que je ne sais pas faire » (E2-C2).

 

4.4 – Lien entre apprentissage et projet

 

Dans une majorité de cas, parmi les stagiaires rencontrés, le projet en cours est conforme aux objectifs qui ont gouverné l’inscription en formation à savoir : trouver un emploi. L’acquisition des savoirs de base et la formation n’étant vécue et pensée que comme une étape plus ou moins obligatoire dans ce parcours.

 

« Mon projet, c’est surtout d’avoir quelque chose dans les mains pour faire un métier, pour faire du ménage dans les cantines, dans des collectivités comme les collèges » (E6-A2).

« Devenir, aide-soignante. Pour moi, le projet, c’est de devenir aide-soignante mais si je peux trouver du travail avant ça, ça me dérange pas de choisir le travail » (E7-B2).

 

Néanmoins, dans une occurrence, « lire et écrire » (E5-A2) demeure le projet principal. Pour les autres, à la quasi unanimité, le travail salarié apparaît comme une priorité forte. Notons que dans la plupart des cas, les projets envisagés semblent réalistes compte tenu des niveaux et des histoires de vie des personnes interviewées. C’est peut être aussi le résultat d’une prise de conscience réalisée dans le cadre de la formation dont les effets normatifs en matière de projets des stagiaires ont souvent été décrits, voire dénoncés. Reste que E3-B2 vise à devenir « auxiliaire de vie » et a déjà acquis dans le domaine une première expérience, E3-C2 voudrait « travailler dans la petite enfance » et envisage une expérience dans ce secteur dans le cadre d’un CES et E4-C2 projette de faire les marchés. Quant à E4-B2, elle souhaite « devenir vendeuse » et E8-B2 veut travailler à l’hôpital, dont elle attend une réponse, « en ménage ou en cuisine » et accepte « même si c’est pas ma branche » d’y travailler car comme elle le souligne elle-même : « autant prendre ce qu’il y a quand même ». D’autres visent un emploi dans le bâtiment comme carreleur ou maçon (E4-A2) ou comme peintre voire dans un « resto » comme (E6-C2) ou encore déclare comme E2-C2 : « Mon projet, c’est m’occuper des personnes âgées ». D’autres songent à travailler dans les espaces verts comme E4-B2 ou comme E12-A2 dans le tri de déchets urbains.

 

Les projets souhaités ou en cours de réalisation sont très divers et quelquefois, malgré l’envie de tel ou tel stagiaire, le principe de réalité s’impose et conduit à renoncer à des emplois considérés comme trop éloignés des potentiels connus des personnes.

 

« Je pensais à chanteur professionnel. Maintenant je veux devenir DJ professionnel » (E4-B2), de fait il recherche un emploi dans le bâtiment.

« Il a évolué quand j’ai fait mes stages parce qu’avant je voulais faire un CAP petite enfance et Madame T m’a dit qu’avec mes difficultés j’aurais du mal et j’ai pu essayer de trouver autre chose en maison de retraite et ça me plaît bien (…), je veux continuer sur ça » (E8-B2).

 

Toutefois et marginalement l’un d’entre les apprenants déclare que la formation n’a eu aucune influence sur lui.

 

« Non, ça, aurait été pareil, c’est mon choix personnel » (E12-A2).

 

Pourtant malgré un souhait fort d’insertion ou de ré-insertion dans l’emploi qui semble prioritaire, la formation qualifiante et certifiante à l’issue de la formation devient une perspective à ne pas négliger à plus ou moins long terme. Il est probable que le stage de remise à niveau ait, pour certains, rendu cette ouverture envisageable.

 

 

« Bon, c’est se qualifier. Un diplôme ce serait mieux » (E1-C2).

« Oui, je cherche une autre formation pour un métier (…).  Je crois par une formation GRETA l’année prochaine. Je vais aller à cette formation »

(E4-B2).

 

Exceptionnellement si la qualification est envisagée et souhaitée, elle l’est dans le cadre d’une validation des acquis de l’expérience.

 

« Mon projet, c’est de réussir mon diplôme de formation VAE » (E2-C2).

 

Pour un autre, malgré la conscience que le diplôme professionnel est d’une grande importance, son niveau et son âge l’on conduit à renoncer.

 

« Non, question d’apprendre un métier (…), on avait été à l’AFPA, il y avait de la soudure. J’y étais allé comme ça pour voir mais c’est trop compliqué, je ne peux pas (…). Quand j’ai vu tout ce qu’il fallait faire, j’ai dit non (…). Ça aurait été trop compliqué d’apprendre le métier de soudeur » (E12-A2).

 

Au demeurant pour certains avec ou sans diplôme, avec ou sans formation, la recherche d’une plus grande stabilité sociale apparaît aussi comme un projet.

 

« Mais je me suis dit pour l’instant c’est avoir quelque chose que je sois bien stable, pour sûr, le CAP ça viendra après (…). Là pour mon projet, c’est juste de déclencher quelque chose pour être stable » (E6-C2).

« La formation, c’est neuf mois d’ici à l’année prochaine. Si par exemple, j’ai mon diplôme l’année prochaine en juin ou juillet. Comme ça, j’aurai l’occasion de trouver un travail même si je déménage d’ici dans une autre ville, je peux montrer mon diplôme » (E3-B2).


 

En articulation plus ou moins énoncée avec le projet professionnel, d’autres projets d’apparence secondaire sont portés par quelques stagiaires.

 

« Je ne veux pas changer mon projet (…). Ce n’est pas que je veux pas trouver du boulot (…). Pour l’instant au niveau de mon projet, il n’y a que mon permis qui me coince (…). Je l’ai loupé alors il faut que je repasse encore le code (…). C’est juste mon permis. Il faut que j’attende juste d’avoir mon permis après c’est déclenché, tout est déclenché » (E4-B2).

 

Un autre au moins, malgré un projet à court terme « réaliste », devenir carreleur n’abandonne pas tout à fait un projet à plus long terme, devenir DJ mais après la formation avec des échéances et une forme de pragmatisme des moyens.

 

« Si je travaille, la paye je vais la garder. Je vais acheter mes platines, la table de mixage, tout pour faire le studio, après je sortirai mes albums »

(E4-A2).

 

 

4.5 – Élargissement et confirmation du champ professionnel

 

Pour ceux et celles qui dans certains dispositifs ont bénéficié de stages en entreprises, cette période est en règle générale relatée comme positive. Pour deux d’entre eux qui avaient une première expérience professionnelle dans un secteur, ce temps a permis des apprentissages nouveaux.

 

« Il y avait des choses que je connaissais. J’ai aussi découvert, planter des iris, tout ça » (E1-C2).

« J’ai découvert comment on envoie les entrées. On m’avait aussi appris comment le faire quand il y avait moins de monde à la cuisine (…) ou les plats, des trucs comme ça » (E6-C2).

« Oui, dans les chevaux, je nettoyais les chevaux, enfin les abreuvoirs, je montais les chevaux, je récurais les sabots, la paille » (E3-C2).

 

Pour un autre, c’est un gain non négligeable dans la construction et la crédibilité de son CV ainsi que pour la faisabilité de son projet professionnel.

 

« C’est important, parce qu’avant quand on posait un CV, dans le CV, il n’y avait rien de marqué. Il n’y avait rien comme expérience. Maintenant dans le CV, il y a : expérience, formation, des trucs comme ça (…). Ils voient que j’ai de l’expérience. Pour moi, c’est mieux qu’avant » (E7-B2).

« Il y en a beaucoup qui me demandaient si j’avais de l’expérience et quand je leur disais « non » et bien, c’est pas la peine, vous pouvez partir. Ils veulent prendre quand il y a de l’expérience » (E8-B2).

 

 

Pour d’autres, le stage a été une occasion de découverte, un lieu de cristallisation du projet professionnel.

 

« Avant quand je suis sortie de l’école, j’avais pas de métier, j’avais pas le choix quand je dois faire un travail. Grâce à l’Escale, j’ai trouvé un métier que je veux » (E7-B2).

« Quand je suis entrée, je ne savais pas (…). Je ne demandais que de travailler dans le ménage, c’est ça que je pensais. Ça m’a donné beaucoup de choses (…), j’ai découvert, j’ai découvert le métier (aide à domicile), c’est bien à côté des personnes âgées » (E3-B2).

 

Découverte d’un espace professionnel d’autant plus importante que pour quelques stagiaires, certaines activités sont totalement inconnues du fait de leur inexistence dans les pays d’origine.

 

« Maintenant moi, j’encourage les filles à faire des stages, ça ouvre les portes pour savoir ce que c’est le travail (en France). Ce métier-là, on l’a pas dans notre pays » (E3-B2).

 

Dimension d’insertion culturelle de la formation qu’il faut encore souligner après l’avoir déjà pointée pour les stagiaires de Paris, de Vernon et de Tours en d’autres lieux de ce rapport et sur des thèmes autres que professionnels.

 

Pour d’autres, souvent en lien avec des parcours singuliers, le stage à permis de confirmer une vague orientation professionnelle (E4-B2) ou de confirmer un non choix en lien avec les conditions de travail : « C’est trop dur (…). Trop fatiguant pour moi » (E3-C2). Enfin, marginalement, un stagiaire déclare n’avoir rien acquis durant sa période en entreprise (E6-A2).

 

La phase 2 de notre enquête semble en matière d’élargissement et confirmation du champ professionnel confirmer les tendances en matière d’usages et d’effets attendus des stages en entreprise repéré en phase 1. Toutefois, plusieurs mois après la formation et compte tenu de notre échantillon, la dimension « orientation professionnelle » apparaît moins présente.

 

 

4.6 – Usages sociaux de la formation de base

 

Massivement la formation a permis de relancer des usages plus réguliers de la lecture, de l’écriture et du calcul. La lecture est semble-t-il l’outil et l’usage le plus souvent évoqué en terme d’usage plus ou moins « quotidien ».

 

« Un peu à lire » (E4-B2).

« Je lis tout le temps (…). J’ai toujours un livre sur la table de chevet »

(E2-C2).

« Je lis tous les soirs pour essayer de garder un peu le rythme » (E8-B2).

« Maintenant, j’ai recommencé à lire » (E7-B2).

 

Parmi ces « nouveaux » lecteurs, une minorité significative déclare fréquenter une bibliothèque. Il est probable que ce soit là un effet direct de la formation.

 

« Je lis des bouquins parce que j’étais inscrite à la bibliothèque » (E3-B2).

« J’emprunte aux bibliothèques » (E7-B2).

 

Les lectures évoquées sont relativement variées. Ce sont des livres faciles « pas pour adultes, pour les enfants parce que pour moi c’est plus facile. Les livres pour adultes, c’est difficile pour moi » déclare E4-B2. Des romans policiers ou « les BD à mes nièces, des histoires de petits » ou encore les journaux pour E8-B2 ou pour E3-B2 une nouvelle occasion de découverte culturelle car il s’agit par la lecture « d’apprendre à faire la cuisine française » et pour elle encore, une possibilité de consulter le dictionnaire.

 

Les pratiques d’écriture sont elles aussi relancées même si elles restent un exercice difficile et quelquefois encore sous contrôle d’un tiers bienveillant.

 

« Je n’écris pas des lettres toute seule. Je fais le brouillon toute seule et généralement il faut que ce soit une copine ou ma mère qui corrige (…) Quand je bute sur un mot, je n’arrive pas à écrire » (E3-C2).

 

Ici encore l’usage de l’écriture est très diversifié. Certains déclarent « écrire des choses (…) de temps en temps », faire « des textes, des trucs comme ça » (E6-C2). D’autres au contraire prétendent « écrire toute la journée » sans plus de précision (E2-C2). Un autre affirme écrire « à ma famille, à plein de gens » (E4-A2). Un autre encore écrit car il est confronté à « toute sorte de papiers à remplir » (E12-A2). Ce dernier déclare d’ailleurs à propos des papiers de la CAF que « maintenant je les fais moi-même tous ces papiers-là ». Enfin, l’écriture est mobilisée dans le cadre des diverses démarches pour trouver un emploi comme E7-B2 des lettres de motivation ou encore comme nous l’a confié E8-B2 : « J’écris beaucoup de CV pour les entreprises ».

 

Le calcul au sens large, quant à lui, semble moins fréquemment utilisé et/ou utilisable dans les situations quotidiennes. Toutefois, certains y ont recours.

 

« Pour calculer la durée d’un morceau (de musique) parce que si le morceau fait dix minutes, il faut trouver le nombre de mots qu’on doit écrire » ou « quand ma mère, elle me donne 10 € pour aller chercher un paquet de clopes (…) et bien quand je rentre, il faut rendre la monnaie et ça se passe mieux qu’avant. Parce qu’avant j’étais avec mon père dans les foires et quand je devais rendre la monnaie, j’étais avec ma calculatrice. Maintenant, je le fais comme ça (de tête) » (E4-A2).

« Quand on va acheter une bouteille d’eau, pour savoir combien il y a dedans, pour faire les gâteaux avec une balance » (E3-B2).

 

 

Enfin dans deux cas repérés, comme pour les stagiaires de l’AEFTI, la formation est réinvestie dans une action d’entraide directe en direction d’un proche.

 

« Par exemple, je peux aider ma fille (en CM1) à préparer sa leçon pour l’école » (E4-B2).

« Les maths pour ma nièce qui est en 6e. Elle a des difficultés en maths. Alors moi, comme j’ai appris un peu ici et puis je me rappelle un peu tout ce que j’ai fait au collège, je l’aide (…) surtout en maths et en lecture »

 (E8-B2).

 

 

4.7 – Acquisition et progressions

 

Pour une majorité de stagiaires, le sentiment d’avoir progressé est très net même s’ils ne sont que rarement en mesure d’énoncer, faute d’outillage et de repères stables, avec une grande précision la nature de cette progression. Néanmoins, comme nous l’avons vu plus haut, ils sont capables de repérer les usages qu’ils font des savoirs de la formation. Il s’agit donc plus d’une impression, d’un sentiment général.

 

 

« Oui, j’ai l’impression d’avoir progressé (…), lecture, écriture, les deux (…) « Oui, ça va ! C’est vrai que ça va mieux par rapport à avant » (E6-C2).

« J’ai progressé un peu dans tout (…). Oui quand même, je pense que je me suis amélioré » (E1-C2).

« Si, je me suis amélioré, mais bon, il y a encore de gros progrès à faire » (E3-C2).

« Oui, un petit peu mais pas beaucoup » (E5-A2).

 

Quelques-uns, minoritaires, considèrent même que les progrès qu’ils ont accomplis sont significatifs.

 

« J’ai appris pas mal de choses. Si je n’avais pas été dans cette formation, je n’aurai rien appris aujourd’hui (…). J’aurai pas progressé du tout, heureusement j’ai été là » (E6-A2).

« Cette formation m’a apporté beaucoup de choses. Par exemple, ici j’ai appris la législation, ce que ça veut dire le droit du travail, comment chercher un travail. Beaucoup de choses qu’on a appris dans cette formation, la lecture aussi, conjugaison, grammaire. On a fait de l’atelier, on a appris à faire de l’encadrement. On a appris à faire un CV (…) pour chercher du travail » (E3-B2).

« J’ai fait d’énormes progrès quand même » (E6-A2).

 

 

Au-delà des apprentissages fondamentaux relevant de la lecture, de l’écriture et du calcul, une certaine catégorie des publics rencontrés, relevant probablement du FLE déclare mieux parler, mieux communiquer.

 

« Oui, je comprends mieux. Après cette formation, j’ai fait des progrès (…). Je comprends bien » (E4-B2).

«Je sais m’exprimer en français. Avant l’Escale, je parlais mais il y avait toujours quelque chose. Ça va très bien » (E8-A2).

« Oui, j’ai appris à parler même si je ne parle pas bien le français mais ce n’est pas comme les premiers jours quand je venais d’arriver (…). C’est mieux que les premiers jours grâce à Alpha. Si je n’étais pas ici, je n’apprends pas » (E3-B2).

 

Plus rarement certains des interviewés affirment s’être ouverts à d’autres types de centres d’intérêt, d’autres connaissances, d’autres cultures. C’est le cas de E3-B2 qui cherche à « apprendre la cuisine française » et qui déclare : « On a fait connaissance avec des gens de plusieurs pays qui viennent de l’Amérique, qui viennent de l’Afrique, qui viennent de l’Asie ». Une autre stagiaire E4-B2 affirme avoir mieux compris l’organisation du travail en France : « J’ai travaillé un an en Ukraine comme vendeuse et ici c’est très différent. J’ai travaillé dans un petit magasin (là-bas) et X (moyenne surface), c’est très différent. Maintenant, je comprends mieux… ».

 

Enfin, pour une personne, la formation a eu un effet direct, dont elle a une claire conscience, sur ses capacités cognitives.

 

« Ce qui me sert aujourd’hui (…), vraiment, ça m’a pas mal développée le cerveau, ça m’a ouvert la porte pour connaître beaucoup de choses que je ne savais pas avant. Mieux réfléchir et tout ça » (E8-A2).

 

Si la mesure précise des progrès est difficile à établir, l’indicateur le plus efficace semble-t-il, comme pour les stagiaires de l’AEFTI, est encore l’entourage immédiat des apprenants qui témoignent directement et spontanément de cette progression.

 

«Mon mari (…), il a dit que je me suis développée (…). C’est pas comme les premiers jours » (E3-B2).

« Ma fille, elle m’a dit que je sais mieux écrire qu’avant » (E12-A2).

« Des fois ma mère, elle me demandait de calculer ses comptes et elle vérifiait si c’est bien. Avant, je faisais plein de fautes dans ses calculs. Maintenant, ça va. Elle me fait : c’est bien » (E8-B2).

« Oui, ils m’ont dit : « franchement, tu n’es plus le même qu’avant ». Avant, je ne savais pas écrire (…). Maintenant, je leur dis : « oui, je sais écrire et tout ça » (E4-A2).

« L’autre fois je suis allé à Véretz (…). Le Maire, il m’a dit que j’avais évolué » (E12-A2).

 

 

Si les acquisitions et les progrès sont bien réels pour certains, les témoignages attestent, démontrent s’il en était besoin l’importance et les effets de l’illettrisme récurrent. Plusieurs stagiaires ont « naturellement » fait état de l’érosion de savoirs antérieurement connus et plus ou moins bien maîtrisés. Phénomène classique de déperdition des connaissances à l’œuvre chez tout un chacun mais qui peut prendre un caractère alarmant lorsque le capital de connaissance est modeste à l’origine. Par ailleurs, ce phénomène pose la question de l’entretien des connaissances à l’issue de la formation. Quel mécanisme individuel installé à cette fin, quel dispositif permanent de suivi proposer aux apprenants pour maintenir et développer les acquis ?

 

« Les divisions, je me rappelais plus comment on les faisait. Maintenant ça va (…). Je me souvenais plus » (E1-C2).

« Parce qu’avant, je les avais appris (…). Après, j’avais tout oublié, après quand j’ai repris, quand je suis rentré en formation (…), pour moi, c’était comme une révision en fait » (E6-C2).

« J’écrivais plus, j’avais tout perdu ce que j’avais appris à l’école, j’avais tout perdu. Depuis que je viens à la Croix rouge, ça m’a un peu remis dans le bain » (E12-A2).

 

 

4.8 – Formation et effets sur les personnes

 

L’acquisition et l’usage de savoirs sont sans aucun doute des effets majeurs et assez immédiatement repérables de la formation. Mais, l’impact des dispositifs de formation en général et pour les publics que nous avons rencontrés en particulier ne se limite pas à des apprentissages formels, loin s’en faut. L’engagement dans un tel processus a parfois des effets conséquents sur les personnes. Il est donc important en matière d’évaluation de tenter de dépasser le seul effet « placement en emploi » – toujours aléatoire voire illusoire, dans un premier temps, pour nos publics – et de mesurer les effets individuels et sociaux de la formation.

 

Les interviewés lors des entretiens ont souvent affirmé et/ou ré-affirmé un gain d’autonomie important. Nous l’avions déjà remarqué lors de notre rapport intermédiaire à l’issue de la première phase de notre travail et noté lors du traitement des propos des stagiaires parisiens. Trois à quatre mois après la sortie de formation, cette dimension des acquis reste très présente chez les stagiaires de Vernon et Tours.

 

En ce qui concerne l’autonomie acquise, celle qui est la plus fréquemment évoquée est une autonomie relative à la gestion et au renseignement des dossiers de types administratifs relavant de la CAF, de l’ASSEDIC…

 

« Maintenant, je sais me débrouiller (…). Pour remplir les papiers (…). Je n’ai pas de souci » (E4-C2).

« Pour remplir les document, ça m’a aidé (…). Comme la CAF, je les fais moi-même tous ces papiers-là (…). Des fois, c’est quand même compliqué (…. Mais autrement, il y en a que j’arrive à écrire maintenant, davantage qu’avant » (E12-A2).

« Tout ce qui est administratif concernant ma vie personnelle, j’y arrive beaucoup plus qu’avant » (E2-C2).

« Maintenant, je peux me débrouiller toute seule question papier, pour remplir (…). Je me débrouille bien maintenant » (E8-B2).

 

 

L’autre élément de cette autonomie conquise concerne la capacité à gérer soi-même ses propres comptes et à être en capacité de savoir où en est son budget.

 

« Oui, parce que je ne faisais pas tout ça (…). Je ne calculais pas et maintenant depuis que j’ai arrêté la formation, je me débrouille toute seule. Je fais beaucoup de trucs et ça me change » (E8-B2).

« Là, actuellement quand je dépense mon argent de poche, je suis obligé de l’enlever sur un cahier » (E6-A2).

« La question des cahiers de comptes (…). J’y arrive beaucoup plus qu’avant » (E2-C2).

 

 

Ces gains d’autonomie individuelle et sociale permettent aux apprenants de sortir des réseaux de dépendance et/ou de solidarité utilisés antérieurement. Il redonne à chacun une part de sa liberté aliénée par le besoin permanent de se faire aider.

 

« Avant (à propos de l’usage du dictionnaire), je ne le pouvais pas. Il fallait que je le demande soit à mon fils le plus grand ou soit à mon mari, tout dépendait. (Et plus généralement), moi, je suis super contente, je peux au moins le faire toute seule sans avoir besoin de quelqu’un » (E2-C2).

« J’aimerais bien savoir bien (mieux) lire, bien écrire, pas besoin de demander à mes parents, faire toute seule et rien dire à mes parents »

(E3-C2).

 

 

Cette autonomie se traduit pour quelques-uns d’entre les anciens stagiaires par une plus grande mobilité, une capacité accrue à se déplacer. Cet élément est important pour la liberté individuelle de chacun mais aussi un acquis essentiel pour mener à bien les futures démarches de recherche d’emploi et/ou de poursuite de formation en vue d’une qualification.

 

« Là, je suis en train de passer mon code » (E8-B2).

« Ce que je peux dire, déjà quitter ici toute seule, aller à Paris, ça fait déjà beaucoup pour une personne qui n’a jamais été à l’école. C’est vrai, c’est beaucoup (…). Oui, beaucoup, parce que je peux aller dans n’importe quel pas, je suis capable d’y aller seul (…). Je suis partie toute seule dernièrement en Afrique (…). C’est vrai (avant), je ne pouvais pas faire ça » (E8-B2).

 

 

Cela dit pour l’ensemble de ces gains d’autonomie, quel que soit le domaine, ils ne sont pas faits nécessairement par tous ou pas au même niveau de développement. Ainsi, pour les déplacements ou certaines démarches, l’autonomie pour quelques-uns est encore toute relative.

 

« Oui, je peux sortir mais je ne suis pas prête de sortir de Vernon parce que je ne suis jamais sortie toute seule » (E7-B2).

« Au niveau des trajets, j’ai un peu peur au début quand je ne sais pas le faire, quand je ne sais pas où c’est. Alors, après une fois que je sais, je n’ai plus peur » (E3-C2).

« Avec un pote et un cousin (démarche à l’ANPE) parce que je suis timide » (E4-A2).

 

 

La formation, plus rarement, a pour certains d’autres effets et d’autres conséquences. Pour quelques-uns, elle permet un éveil de la curiosité, la découverte de la réalité jusque-là absente de leur univers. C’est le cas de E6-A2 qui affirme : « avoir été à une exposition à Tours (et que) c’était bien. C’était un plus. Ça m’a apporté aussi ». Depuis, sans pouvoir garantir que le lien soit absolu, E6-A² fait « de la chorale » et a envie « d’essayer de faire du théâtre, si c’est possible parce qu’il faut avoir le texte devant soi ». Quant à E6-A2, ses goûts télévisuels auraient changé : « Je regarde plus de trucs. Avant je ne regardais jamais la trilogie du samedi, maintenant, je la regarde ».

 

Pour deux autres stagiaires, la formation a eu pour effet de les intéresser davantage et peut-être de rendre plus intelligible pour eux la vie publique locale ou nationale. Nous pourrions qualifié ces évolutions « d’effet citoyenneté ».

 

« Moi, les infos, je ne connaissais rien du tout. Ce qu’ils me racontaient dans les infos à la télé le soir, j’y pigeais que dalle, que dalle. Et puis là, je ne sais pas, j’arrive mieux à comprendre depuis que j’ai fait (…) de l’histoire et de la géographie avec Escale. Là, je peux commencer à goûter un peu plus à comprendre ce qui se passe » (E2-C2).

« Le journal (Le Démocrate et Paris-Normandie) pour savoir un peu ce qui se passe dans les villes, tout ça » (E8-B2).

 

 

Effet citoyenneté qui peut conduire deux autres anciens stagiaires, dont la lectrice du Démocrate, à développer des formes de solidarité dans le cadre d’actions bénévoles, voire militantes.

 

« Sinon, je le fais (des lettres) à quelques personnes âgées autour de chez moi qui ont du mal à écrire. Ça c’est du bénévolat » (E8-B2).

« J’avais demandé, comme il a fait froid, ils cherchaient des gens (volontaires) pour s’occuper des gens qui sont à la rue. Je voulais le faire (…). J’ai fait (aussi) une demande pour faire le métier de secouriste (…) pour faire les premiers secours. Je suis inscrit, j’attends » (E12-A2).

 

 

En plus des acquisitions de savoirs et des gains en matière d’autonomie, la formation a aussi des effets directs, plus ou moins importants sur la personnalité. Parmi les anciens stagiaires plusieurs attestent de changements comportementaux significatifs. Dans la plupart des cas, ces changements semblent augmenter leur confort de vie et renforcer le sentiment d’autonomie. La timidité qui pour beaucoup apparaît comme un frein à l’action a largement diminuée même si elle n’a pas totalement disparue.

 

«Oui, moins timide » (E7-B2). 


Oui, (…) moins timide, parce qu’avant j’étais un peu timide quand même. Pour mes stages, j’étais timide pour le premier mais après comme j’ai fait les trois mêmes, après je connaissais tout le monde, ça allait » (E8-B2).

 

« Oui, je suis moins timide qu’avant mais je suis encore timide » (E1-C2).

 

 

Ce recul d’une timidité souvent « maladive » développe la confiance en soi et probablement renforce la capacité à agir voire à apprendre de quelques-uns. En d’autres termes le sentiment d’auto-efficacité[4] nécessaire pour pouvoir agir semble enclenché.

 

« Maintenant pour moi, je me fais confiance à moi-même » (E6-C2).

« J’ai changé un petit peu. Je suis plus sûre de moi » (E7-B2).

« J’ai découvert beaucoup de choses et ma vie, elle a changé. Je commence à avoir confiance en moi » (E3-B2).

 

Cette prise de confiance en soi a quelquefois des effets spectaculaires qui surprennent en premier lieu les acteurs eux-mêmes.

 

 

L’une d’entre eux relevant de la COTOREP déclare spontanément :

 

« Je ne vous cacherai pas que je me sens mieux dans ma peau aujourd’hui. Je me sens mieux évoluée qu’il y a quelques années (…). Maintenant, je ne me considère presque plus comme handicapée » (E6-A2).

 

Un autre, autrefois très inhibé selon lui, aujourd’hui s’affirme :

 

« Oui, oui, ça m’a franchement débrouillé. Avant de venir je n’étais pas débrouillé (…).Oui, quand j’ai été pour faire le divorce, avant quand j’étais tout seul avant de venir en formation, je ne savais pas me débrouiller tout seul et là un jour, j’ai été voir un juge à Tours parce qu’il faut prendre un juge automatiquement. C’est un avocat, je me suis débrouillé tout seul à voir un avocat, puis, il n’y a pas eu de problème » (E12-A2).

 

Et d’ajouter plus loin, le récit d’une autre expérience significative de son changement.

 

« Ça m’a permis de me débrouiller tout seul. Comme une fois j’avais rendez-vous avec le maire de Veretz, tout seul, j’y serai jamais allé et que là j’y est ai été tout seul. J’ai été pour prendre rendez-vous et puis j’ai été voir une secrétaire. Elle m’a dit : « vous voulez un rendez-vous avec un adjoint ? ». « Non, je préfère un rendez-vous directement avec le maire ». Alors, j’ai été directement avec le maire, j’ai pas eu peur, il va pas me manger, c’est ce que j’ai fait. Avant, je ne l’aurai pas fait, des trucs comme ça, (la formation) ça m’a poussé à le faire » (E12-A2).

 

 

Pour un nombre significatif d’interviewés, la formation produit un autre bénéfice évident. Elle brise l’isolement souvent vécu avec souffrance.

 

« Avant, je ne sortais jamais de chez moi, grâce à Alpha, j’ai connu des gens » (E7-B2).

« Avant, j’étais complètement isolé, je connaissais presque personne (…). Maintenant (…), je viens à Tours, ça me permet de voir du monde, je suis moins isolé. Ça y fait aussi de voir du monde » (E12-A2).

 

Les dispositifs de formation ont donc un effet fort de socialisation et/ou de re-socialisation sur certains apprenants. En particulier certaines femmes et les stagiaires les plus âgés. Pour les plus jeunes, leurs liens sociaux semblent moins distendus. Pour quelques-uns à l’issue de la formation ces relations nouées durant le stage perdurent.

 

«Par rapport à avant, je connais beaucoup de monde (…). Oui ce sont les gens de la formation, on se voit de temps en temps, on s’appelle (…). on passe la journée ensemble » (E6-C2).

« Oui, je revois certaines personnes, oui, j’ai gardé le contact » (E4-C2).

« Oui, on a gardé le contact, souvent on ne se voit pas mais on s’appelle au téléphone » (E7-B2).

 

Ou encore pour E4-A2, le stage fut l’occasion de rencontrer « un bon pote qui s’appelle X » qu’il revoit fréquemment. Quant à E3-B2, elle a fait connaissance avec une dame dont elle dit : « c’est ma copine (…), je vis chez elle (…), c’est grâce à Alpha que j’ai fait sa connaissance ».

 

Cet effet de socialisation a pour première conséquence de développer le réseau de communication des anciens stagiaires et de renforcer leur usage de l’oral, crucial pour certains.

 

« Avant, je ne parlais presque pas (…). Maintenant, je parle plus »

(E12-A2).

« Oui, plus à l’aise, je parle un peu plus » (E4-A2).

« Pour moi, c’est plus facile de parler avec les gens (…). C’est plus facile de parler avec mes amis » (E4-B2).

« On parle plus qu’avant, mes amis me l’ont dit, je parle beaucoup plus qu’avant » (E7-B2).

 

Plus rarement, pour certains, l’isolement linguistique perdure puisque l’environnement s’exprime dans une autre langue que le français. Pour ceux-là, l’apprentissage et le perfectionnement langagier passe par l’accès à l’emploi, lui-même conditionné souvent par l’usage de la langue…

 

« Je pense, je crois que si j’avais trouvé un travail, je parlerais mieux après » (E4-B2).

 

 

Enfin et pour clore ce chapitre, soulignons que la plupart des acquis de la formation, apprentissage, autonomie, confiance en soi… convergent et rendent probablement la difficile recherche d’emploi plus aisée et les liens avec certaines institutions plus faciles. Là encore, rappelons que ces effets ne sont pas uniformes pour tous mais qu’ils sont manifestes chez certains, les discours des « entourages » l’illustreront à nouveau plus bas.

 

« Maintenant, je sais me débrouiller (…). Et pour un entretien pour un travail, quelque chose comme ça, non, je n’ai pas de souci » (E4-C2).

« Je suis un peu moins timide et je peux me déplacer plus facilement pour aller trouver un patron » (E4-A2).

« Je crois que pour moi, c’est plus facile pour chercher du travail » (E4-B2).

« Maintenant, je me débrouille toute seule même pour appeler l’ASSEDIC tous les mois, avant je ne le faisais pas. Maintenant, je peux le faire quand même » (E8-B2).

« Oui, ça m’a aidé dans tous les domaines. Même pour l’emploi, ça m’a beaucoup aidé » (E12-A2).

 

Un autre admet que malgré un projet professionnel bien installé, le principe de réalité faisant loi, il est ouvert à d’autres propositions.

 

« C’était pour faire de la peinture. J’avais pas l’intention de faire d’autres choses (…). Mais quand je suis rentré ici, j’ai fait beaucoup de trucs (…). Là, je vois en ce moment, je ne choisis pas, (j’accepte) n’importe quoi qui vient » (E6-C2).


[1] Nous avons conservé par souci de cohérence les âges déclarés en 2005. Il convient pour retrouver l’âge réel des personnes en 2006 de rajouter une année.

[2] Même si on ne peut pas à coup sûr imputer ce contrat de travail à la seule formation.

[3] Femme alphabétisée en cyrillique.

[4] Je fais ici allusion aux travaux du psychologue nord-américain Bandura.

 

PARTIE 5

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