Forme d’autonomies et processus d’émancipation, continuité et innovation dans les Écoles de la deuxième chance

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E2C les principes pédagogiques

 

Forme d’autonomies et processus d’émancipation 

Continuité et innovation dans les Écoles de la deuxième chance

 

 

La recherche action et le guide rédigé avec les équipes des E2C reprennent et élargissent les principes pédagogiques et les valeurs fondatrices des Écoles de la deuxième chance et de leur réseau élaborés au milieu des années 1990. En particulier dans le Livre Blanc de la Commission Européenne « Enseigner et apprendre – Vers la société Cognitive », présenté par Édith Cresson en 1995, poursuivi en 2004 dans une Charte et en 2007 dans un livre dit bleu cette fois.

 

Ce travail de recherche[1] mené conjointement avec l’équipe du LISEC fut sans doute pour certains formateurs et certaines formatrices un rappel aux sources, quand pour d’autres, plus récemment intégrés, il fut une découverte. Pour tous et toutes, ce travail fut l’occasion de se questionner tant sur ses pratiques et sa posture que sur la place du collectif et des savoirs dans les dispositifs et l’ingénierie des apprentissages. En d’autres termes, il a permis d’engager un processus de conscientisation professionnel. Pour les chercheurs universitaires, il fut une belle occasion de confrontation avec le réel pédagogique des écoles aboutissant à un véritable enrichissement conceptuel.

 

Le texte précédent de références pédagogiques datait de 2007. Un chapitre du « livre bleu » intitulé Essai d’essaimage du dispositif des E2C a pour titre : « une démarche pédagogique orientée vers la conquête de l’autonomie ». Les orientations pédagogiques élaborées avec l’aide de Serge Blanchard et Jean-Claude Sontag (INETOP/CNAM) dessinent les grandes lignes du projet pédagogique des écoles que l’on retrouve largement réaffirmées aujourd’hui. A savoir : le choix d’une démarche pédagogique de l’alternance, des parcours fortement individualisés, une pédagogie du contrat, la validation des compétences acquises,  une pratique réflexive sur les apprentissages réalisés par les stagiaires[2]. Auquel on pourrait ajouter le « apprendre à apprendre » inscrit dans le Charte des principes fondamentaux de 2004.

 

Au-delà de ces préconisations praxéologiques, il est souligné dans le « livre bleu » que les E2C travaillent selon des méthodes qui se réfèrent à la pédagogie active, amenant à toutes les étapes et chaque fois que possible, les stagiaires à découvrir par eux-mêmes et à s’engager dans leurs apprentissages. Elles s’appuient sur une pédagogie de la réussite afin de renforcer les sentiments d’efficacité de ces derniers. Ainsi les pratiques pédagogiques, d’une manière tout à fait volontaire, ne sont ni uniformisées ni standardisées. En bref que les E2C se situent hors des schémas scolaires classiques[3]. Autant de valeurs toujours présentent au sein du réseau des E2C.

Autonomie, alternance, apprentissage ou réapprentissages des fondamentaux réflexivité, validation des compétences etc. demeurent des finalités des écoles mais le guide porte clairement l’ambition plus haut. En effet, le guide élaboré collectivement marque une avancée axiologique. Le guide fait clairement références à Paolo Freire et à la pédagogie de l’émancipation. Pour ce dernier, rappelons-le : « personne n’éduque autrui, personne ne s’éduque seul, les hommes s’éduquent ensemble par l’intermédiaire du monde »[4].

C’est bien l’esprit de la démarche E2C, s’éduquer dans la liberté et avec les autres, dans différents collectifs et avec différents acteurs, (pair, formateur, référent, tuteur, intervenant bénévoles…). L’ensemble en lien avec un environnement social, culturel et professionnel afin d’engager un processus de conscientisation, de sa place, de celle des autres, du monde et de ses enjeux, ses règles, ses contradictions, ses opportunités…

 

La pédagogie des E2C fait par ailleurs sienne, le principe de l’éducabilité cognitive en affirmant que les jeunes gens accueillis « sont capables, dans des conditions favorables, d’apprendre, de mobiliser des connaissances acquises antérieurement et de construire un projet suivant leurs aspirations propres »[5]. E2C qui revendiquent comme fondements de leur démarche « une visée d’émancipation et d’autonomisation »[6]. Ce qui a pour conséquence de développer : une pédagogie, des pratiques et des postures facilitatrices. Elle ambitionne de restaurer chez les jeunes stagiaires, si nécessaire, l’estime et l’image de soi, d’augmenter leur sentiment d’auto-efficacité (Bandura). En bref, de rompre avec d’éventuels processus de stigmatisation.

 

Il s’agit d’une éducation coopérative qui facilite la compréhension du pourquoi et du comment des actions et des acquis professionnels et sociaux en soulignant les liens permanents entre théorie et pratique.  A leur manière les E2C font leur la pédagogie intégrale (Robin), celle de l’action, celle qui permet d’apprendre en faisant (Dewey), de développer autant l’intelligence que les savoir-faire. Éducation qui priorise la conscientisation du sens des connaissances afin de sortir du savoir en soi pour le savoir pour soi.

 

La pédagogie des E2C, s’appuie par ailleurs sur l’expérience des apprenants donc sur leur réussite pour entretenir la motivation pour et à apprendre en utilisant largement le renforcement positif. Mais aussi en faisant de l’erreur, qui n’est jamais faute, une occasion pédagogique. C’est aussi une pédagogie de l’erreur déjà formulée en son temps par Francisco Ferrer qui  affirmait que : « le véritable pédagogue est celui qui parfois contre ses propres idées et volontés, soutient [l’apprenant] et le développement de ses énergies »[7] jusqu’à ce qu’il découvre par lui-même l’infondé de ses savoirs ou de ses représentations.

 

La pédagogie des E2C, même si cela est moins explicite dans le guide se revendique aussi de de la formation tout au long de la vie, voire de l’Éducation populaire même si ce rapprochement relève souvent de l’impensé. Educ-pop. en ce qu’elle a pour principe de développer la capacité des individus à comprendre les environnements et les enjeux puis à agir sur le réel social afin de le transformer dans le sens d’une plus grande égalité et d’une plus grande liberté individuelle et collective.

Benigno Cacérès définissait l’Educ-pop. comme  « une conception citoyenne visant à donner à chacun l’instruction et la formation nécessaires pour devenir un acteur capable de participer à la vie du pays »[8].  Quant à Jean-Rémi Durand-Gasselin de Peuple et Culture, il considère que : l’éducation populaire c’est se retrouver sur une éthique commune qui implique « des façons de faire et des prises de décisions collectives, sollicitant la participation de tous et visant des idéaux généraux humanistes de partage du pouvoir, du savoir, et de l’avoir »[9]. Autant de valeurs et d’affirmation avec lesquelles les E2C, en général, entretiennent des proximités.

 

La pédagogie des E2C au-delà de soutenir la coopération entre apprenants et apprenants, entre les apprenants et les formateurs (les facilitateurs), et entre les formateurs eux-mêmes favorise le travail de réflexivité par la mise en mot de l’activité. Travail cognitif qui vise à stabiliser les acquis et à les conscientiser mais aussi à les transférer dans d’autres situations sociales et/ou professionnelles in fine à développer et renforcer l’autonomie et à consolider les compétences de chacun pour agir en toute connaissance de cause, sans omettre la dimension émancipatrice de l’action librement décidée et conduite. En bref, de permettre à chacun de découvrir et de pratiquer ses propres modalités d’apprentissage voire son style cognitif et de faire l’expérience concrète de son apprendre à apprendre et à s’apprendre.

Toutefois, en matière d’émancipation, il faut prendre garde. Il en est sans doute de même avec l’autonomie et les compétences qu’elles soient sociales ou professionnelles. Leur acquisition n’est peut-être que transitoire, ponctuelle, éphémère et demande probablement de régulières réitérations. C’est ce que souligne Guillaume Sabin[10] dans le cadre de l’expérience de pédagogie sociale qu’il anime avec des équipes de « pédagogues de rue ». Il écrit en ce sens : « et si au contraire l’émancipation était une expérience du présent, n’était même qu’une expérience présente, qui existe au moment où elle se développe et cesse d’irradier quand cette expérience s’arrête […]. L’émancipation n’a rien d’une trajectoire rectiligne » et qu’elle doit, selon l’auteur, être sans cesse expérimenter et consolider « par répétition d’actes d’engagement ».

Aux équipes des E2C, donc, d’être vigilantes et créatives afin de multiplier les expériences favorisant l’appropriation et la stabilisation de ces acquisitions afin que la pédagogie de l’émancipation dont elles se réclament soit une réalité et non un slogan, une exhortation, voire une vaine incantation. Pour ce faire, des environnements capacitants (Oudet) devront être imaginés, environnements pédagogiques, éventuellement proposés par les apprenants eux-mêmes, qui donnent à faire, à apprendre et à comprendre.

Il conviendrait encore pour cela d’interroger et de travailler certaines postures professionnelles, de renoncer à des formes de toute puissance, d’accepter de lâcher prise. Et peut-être aussi d’engager un travail d’analyse des pratiques pédagogiques et d’ingénierie afin de devenir des praticiens réflexifs (Schön) sur un mode coopératif

 

En conclusion, il est possible de soutenir que les E2C sont à leur manière un nouvel avatar d’une éducation visant à rendre des sujets autonomes et conscients de leur appartenance à des collectifs et soucieux d’émancipation individuelle et collective. Sans s’y référer toujours explicitement les Écoles de la deuxième chance et les équipes qui les animent prolongent une démarche humaniste engagée en son temps par Condorcet, poursuivit par Paul Robin, Célestin Freinet et bien d’autres à leur suite. Ainsi les E2C, réelles nouveautés en 1995 lors de leur création, s’inscrivent donc dans une longue tradition éducationniste, émancipatrice et populaire.

 

 

[1] Collectif, 2018, Guide pour l’usage du référentiel de compétences du réseau E2C France, Réseau E2C-LISEC/Université de Lorraine

[2] Réseau E2C, 2007, Essai d’essaimage du dispositif, se reporter page 27 et suivante du « livre bleu », p. 27 et suivantes  : https://reseau-e2c.com/wp-content/uploads/2017/04/0801-Etude-essaimage-def.pdf.

[3] Ibidem.

[4] Paolo Freire, 1977, in Pédagogie des opprimés, Paris, Maspéro.

[5] Guide E2C, p. 7.

[6] Idid. p.7.

[7] Article « Francisco Ferrer », de Vilanou C. et Novoa A.,  in Quinze Pédagogues, leur influence aujourd’hui, Houssaye, J. (dir.), Paris, Armand Colin,1994. p. 91

[8] Article Education populaire, Wikipédia.

[9] Art de Delavaux C. in Education populaire, une utopie d’avenir, Peuple et culture, un humanisme radical, p. 139.

[10] Sabin G., 2019 Les joies du dehors, essai de pédagogie sociale, Ed. Libertalia, Paris/Montreuil, pp 243-245.

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