VAE : D’une loi éthique et citoyenne à une pratique gestionnaire

FacebooktwitterredditpinterestlinkedinmailFacebooktwitterredditpinterestlinkedinmail

D’une loi éthique et citoyenne

Ã

Une pratique gestionnaire

Â

 

Ad introducendam

 

Cette communication vise à montrer, plutôt même à démontrer, un glissement de valeurs en matière de reconnaissance et validations des acquis des[1] expériences. En effet, selon moi, la validation de l’expérience telle que penser à la fin du 20e siècle et mise en œuvre au début du 21e a perdu une large part des ses vertus et de ses logiques émancipatrices par la reconnaissance et la certification de soi pour soi au profit d’une accréditation marchande. Accréditation qui tend à faire des individus les objets transparents d’un marché du travail en quête de diplômes et d’attestation officielle par un tiers d’autorité de la compétence par le diplôme où le titre. Compétences bien hypothétiques d’ailleurs, et souvent illusoires, compte-tenu des modes d’évaluation des dites compétences.

Cette communication visera d’abord à en pointer les étapes et les dérives. Puis, elle tentera ensuite d’en analyser les conséquences tant sur le processus de reconnaissance lui-même que sur celui de la validation/certification.

Â

Ad memoriam

La loi d’orientation des universités de 1984 et le décret de 1985 sur la validation des acquis personnels et professionnels de l’expérience (VAPP) à ouvert la voix et la voie[2] de la reconnaissance des acquis[3]. En effet, une commission pédagogique ad hoc au regard d’un parcours personnel ou professionnel significatif mais d’une exigence toute relative, dans le cadre d’une évaluation prédictive, faisait l’hypothèse d’une reprise positive d’études et à terme celle d’une certification. Nous étions alors à la fois dans un processus de reconnaissance avec en finalité l’obtention d’une reconnaissance sociale indiscutable renforçant dans le même mouvement la reconnaissance de soi. Processus dynamique pour les individus fort d’un nouveau sentiment d’efficacité personnel, d’une éventuelle restauration narcissique voire d’une capacité accrue quant à la recherche d’un emploi en lien avec le parcours académique accompli. En bref, un texte généreux marquant l’ouverture de l’université aux « adultes » et restant à l’initiative des individus. Dans un contexte de crise de l’emploi structurel est mis en place en 1991 le bilan de compétences. Texte là encore humaniste car favorable à l’engagement de projet personnel ou non, suite à un travail sur soi accompagné. Ce texte bien que progressiste portait déjà en lui des dérives qui ne firent que s’amplifier. En effet, la compétence, terme polysémique si il en est, et le projet devinrent vite professionnels et le poids des dites compétences bientôt ne reposa plus que sur la responsabilité du bénéficiaire omettant ainsi d’y voir une responsabilité sociétale dans leur production et/ou leur érosion. Le bilan devint, par  ailleurs, dans certains cas et de plus en plus souvent, un outil de gestion et d’attribution par les collecteurs agréés d’un congé qui se voulait l’expression d’une volonté individuelle mais de fait sous contrôle.

La loi de 1992 sur la validation des acquis professionnels aujourd’hui abrogée, renforça cette tendance à la « professionnalisation » de l’expérience même s’il faut reconnaître qu’elle fut une avancée par rapport au décret de 1985 qui ne permettait qu’une entrée dans le système universitaire. Elle rendait possible la délivrance par un jury de parties importantes d’une certification au terme d’une démarche, certes compliquée pour beaucoup. Limitée à deux ministères certificateurs puis quelque peu étendue, elle préfigura néanmoins la loi de 2002 et renforça la notion et la nécessité de l’accompagnement. Mais, le texte de 1992 réduisit aussi bien souvent pour ne pas dire toujours, malgré un décret pris en 1993, l’expérience à l’activité de travail ce qui à mon sens ne fut sans conséquences sur les pratiques ultérieures.

Puis vint la loi sur la validation de acquis de l’expérience en 2002 qui étendit à tous les certificateurs la possibilité de délivrer la totalité, au regard d’une expérience significative acquise, titres, diplôme, CQP. Expérience, cette fois entendue dans son sens le plus large, sociale, personnelle, militante, professionnelle… Ce texte est éminemment citoyen, il s’inscrit dans une loi de Modernisation sociale sans lien exclusif avec le monde de l’emploi est défini comme un droit universel (art. L.133). Il suffit, d’avoir conduit et vécu des expériences quel qu’en soit la nature, d’en tirer des éléments probants en matières d’acquisitions opérées grâce à elles, pour obtenir, après jury et au regard d’un dossier conséquent, tout ou partie d’une certification. Certification, il est vrai à dimension professionnelle mais n’obérant pas d’autres choix comme une poursuite d’études. Restriction, le diable se cache dans les détails, l’expérience doit être en lien avec une certification professionnelle. De facto la reconnaissance pour soi est minorée, même si elle n’est pas absente, au profit d’une reconnaissance  à valeur professionnelle. Tendance accentuée encore quelque temps plus tard par l’introduction d’un droit au congé VAE dans le code du travail. Droit nouveau qui, certes peu apparaître comme un progrès, mais qui eut l’inconvénient de resserrer très souvent, pour ne pas dire toujours, l’expérience attendue et validée à la sphère du travail. Exit bien souvent l’expérience sociale. Le citoyen s’efface devant le travailleur.

Depuis lors, on assiste à un glissement et à une instrumentalisation de la mesure de plus en plus reliée à des logiques de ressources humaines et de gestion des compétences individuelles ou collectives au détriment d’un processus de construction et de reconnaissance de soi. Ainsi d’un projet à forte valeur éthique, on en arrive, étape après étape, glissement après glissement, sous prétexte de réalisme et d’efficacité économique, à un dispositif à finalité instrumentale.

 

In futurum

 

Non seulement, les pouvoirs publics et certains acteurs de la formation tout au long de la vie (FTLV) souhaiteraient doubler le nombre d’individus engagés dans le processus afin de passé d’environ 30 à 60 000 voire à 250 000 validations partielles ou totales par an, mais ils ont proposé très récemment une évaluation du système de la VAE en vue de son évolution. Pour appuyer ma démonstration, je m’appuierai sur trois éléments récents. Le premier en date fut la remise par un groupe de travail du Conseil national du numérique (CNNum)[4] d’un rapport à la – je le souligne et ce n’est sans doute pas un hasard – Ministre du travail  Myriam El Khomri. Ce rapport « souhaite voir assouplir les délais nécessaires pour obtenir la VAE, afin de « valoriser plus simplement les compétences acquises par l’expérience ou la formation interne, y compris en dessous des trois ans requis pour la VAE »[5]. Certes la question de la durée de l’expérience s’est déjà posée lors du passage de 5, loi de1992, à 3 ans lors du vote de celle de 2002 et qu’à mon sens la qualité de l’expérience est plus à interroger que sa durée. Mais ici n’est pas la question, il s’agit seulement de certifier au plus vite et au moins coûteux des compétences afin de favoriser l’accès à l’emploi de certains publics. N’y a-t-il pas là un risque de démonétarisation des certifications ? Réduire la durée de l’expérience est-elle une solution viable pour un dispositif encore contesté dans de nombreux espaces académiques. N’est-ce pas aussi considérer, un peu vite, que l’expérience formatrice du travail s’opère sans durée et au rythme de nos sociétés aux temporalités réduites. N’y a-t-il pas la un risque réel de dévalorisation de l’expérience, des savoirs et des compétences, qu’elle peut permettre d’acquérir, de construire, de transférer ? Pour la Ministre une telle exigence de durée pourrait «  en effet fermer la voie de la VAE à des personnes ayant acquis des compétences dans des stages ou des circonstances informelles »[6]. La question des stages n’en est pas vraiment une, ils peuvent, s’ils ne font pas l’objet d’une évaluation spécifique dans les dispositifs de formation, être pris en compte dans le processus VAE. Quant à l’expérience informelle personnelle ou professionnelle et à sa prise en compte, c’est bien l’objet de la VAE qui vise à la formaliser et à la faire reconnaître. En bref, aller au plus vite vers la certification mais au profit de qui ? Par ailleurs, Et la finalité de la manÅ“uvre se précises, selon la rédactrice de l’article « le développement des Mooc (Massive Open Online Course) et des plateformes d’échanges pourrait permettre de construire « un capital informationnel » sur les métiers et les savoirs « afin de faciliter la transmission de savoir-faire et la transformation numérique des TPE-PME, à l’instar des politiques de gestion des connaissances explicites et tacites mises en place dans certaines entreprises »[7]. En d’autres termes, loin des besoins individuels et citoyen de reconnaissance/certification, se profilent des enjeux industriels (culturels ?) ceux des Mooc, du numérique et des entreprises. Enfin, « les membres du Conseil national encouragent également l’expérimentation d’autres modes de validation des acquis en s’appuyant notamment sur les outils numériques et la formation à distance »[8]. Autres modes envisageables et déjà mise en Å“uvre d’ailleurs.

 

Le deuxième élément de cette refonte envisagé des modalités actuelles de la VAE est la demande d’évaluation du Premier Ministre Manuel Valls qui fait suite à de déjà très nombreux rapports antérieurs. Quatorze ans après sa création dans la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, le Premier Ministre après beaucoup d’autres est à la manÅ“uvre pour que soit réinterroger cette loi, ses pratiques et ses effets sociaux. Dans la conjoncture actuelle et face aux pressions multiples, il est à craindre qu’une telle évaluation tende à davantage encore instrumentaliser la VAE et qu’elle la décentre encore de l’individu en quête de reconnaissance de soi en la faveur d’une restrictive logique d’insertion et d’emploi. C’est d’ailleurs le sens de la demande de Manuel Valls. Bien que reconnue efficace malgré quelques lenteurs et un certains nombre d’abandon  – de fait communs à de nombreux processus sociaux -, la VAE sera donc soumis aux feux croisés et intrusifs de trois corps d’inspection générale, à savoir l’Inspection générale de l’Éducation nationale (IGEN), de l’Inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la recherche (IGAENR) et de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) missionnées par deux Ministres Najat Vallaud-Belkacem de l’Education nationale et Myriam El Khomri du Travail. Une telle machinerie dont l’objectif, selon les termes de Valls est de « réinterroger les politiques publiques, leurs résultats, leur utilité et leur adéquation avec les attentes des bénéficiaires », précise Manuel Valls dans la lettre de cadrage. Reste à savoir ce qu’il faut entendre par bénéficiaires et la manière dont ils seront associés à l’évaluation et ce qu’il faut entendre en 2016 par « pour une action publique, plus efficace et plus juste »[9].

 

A cette mission d’évaluation s’ajoute quelques temps après le COPANEF, le 2 février 2016 une « recommandation pour développer la VAE » qui incite à une transformation importante du dispositif et qui engage pour le coup, non plus une inégalité de traitement de tout un chacun, mais une différenciation selon les secteurs d’activité. La recommandation 1 propose d’autoriser que chaque certificateur public et paritaire définisse « les principes et les modalités de mise en Å“uvre de la VAE pour leurs propres certifications […] par exemple, [en précisant] la durée minimale d’expérience requise pour la recevabilité, l’intensité du lien entre l’activité antérieure et la certification visée, etc. ». En d’autres termes, autant de modalités que de secteur, sans doute une mesure à visée égalitaire simplificatrice mais surtout « en vue de mieux prendre en considération les types d’emplois accessibles par les titulaires de certains de ces diplômes et titres à finalité professionnelle ». Là encore pour les partenaires sociaux, la VAE n’est pensé que comme un instrument adéquationniste au service de l’emploi, loin d’une idée de modernisation sociale au sens citoyen du terme. Quant à la recommandation 3, elle stipule de  faire évoluer la notion de « rapport direct avec le contenu de la certification » qui est considéré comme « très restrictive [car] fondée sur l’interprétation du terme « direct »[10] et en ce sens de modifier l’art. L. 335-5 du code de l’éducation. Certes, le dispositif peut évoluer mais il conviendra d’être plus explicite et de bien choisir un autre qualifiant en l’activité ou l’expérience et leurs acquis et la certification visée. Et là encore la porte est ouverte à de nouvelles spéculations sémantiques pas forcément plus favorables à une mise en Å“uvre plus large de processus de VAE. Pour le reste les recommandations du COPACIF insiste pour que toute évolution soit faite à droit constant. Recommandations faisant suite à un rapport du Comité Observatoires et Certifications – groupe de travail placé au côté du COPANEF – intitulé : « La Validation des Acquis de l’Expérience, pour un réinvestissement et une rénovation de la VAE : diagnostic et recommandations » en date du 21 décembre 2015.

 

Ad finem

 

Impossible aujourd’hui de prédire le devenir utilitariste ou non de la VAE. Néanmoins une série de questions peuvent être posées d’ores et déjà. En effet, cette convergence d’évaluation, de rapports, de recommandations laisse penser que de grandes manœuvres sont engagées afin de modifier le texte de 2002, mais dans quels buts ? Ensemble de préconisations qui viseront à modifier le code du travail dans le cadre d’une loi en préparation, intitulée au 23 février, « projet de loi visant à instituer de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs ». Le projet prévoit en effet, outre les évolutions du « petit livre rouge », la modification de l’article L. 613-3 du code de l’éducation en remplaçant les mots : « trois ans » [d’expérience] par les mots : « un an » et d’insérer après les mots : « exercées sur une même période » […] les mots « ainsi que les périodes de formation initiale ou continue en milieu professionnel suivie de façon continue ou non par les personnes ».

Qu’en sera-t-il des nouvelles mesures ? Favoriseront-elles plus de reconnaissance de soi par soi voire par d’autres acteurs ? Apporteront-elles plus d’égalité voire plus de sécurisation des parcours professionnelles grâce à plus de souplesse et d’accessibilité ? Quels effets auront-elles sur la valeur sociale des certifications, la recevabilité et l’évaluation des jurys ? Ce texte futur produira-t-il plus d’émancipation citoyenne grâce à la force libératoire de la certification ou au contraire plus de subordination de l’expérience et de ses acquis à l’emploi et à la conjoncture économique ?

 

 

 

 

 

[1] Souligné par moi.

[2] Clin d’œil à Jacky Beillerot.

[3] Après, il est vrai, celle de 1934 permettant l’obtention d’un diplôme d’ingénieur.

[4] Le Conseil national du numérique est composé de 30 membres. Il a été renouvelé par un décret du Président de la République du 8 février 2016.

[5] Le quotidien de la formation, 7 janvier 2016, article de Célia Coste

[6] Ibid.

[7] Ibid.

[8] Ibid.

[9] Propos rapportés par Benjamin d’Alguerre, Manuel Valls lance une mission d’évaluation de la validation des acquis de l’expérience in Le quotidien de la formationdu  8 janvier 2016.

[10] Citations : extraits du document publié par le COPANEF du 2 février 2016.

FacebooktwitterredditpinterestlinkedinmailFacebooktwitterredditpinterestlinkedinmail