D’une langue à l’autre. Culture d’origine et apprentissage ou les vertus du métissage

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Reims, Colloque 2016

D’une langue à l’autre

Culture d’origine et apprentissage ou les vertus du métissage

 

 

Durant ce colloque annuel de l’Association Initiales nous avons traité à mon sens d’une réalité vieille comme les premières migrations d’une humanité dotée d’un langage articulé. Il s’agit d’une question anthropologique fondamentale, celle des migrations des hommes, des langues et des cultures. En effet, depuis la nuit des temps les humains au cours de leurs pérégrinations ont toujours été confrontés à la langue des autres. Langues à laquelle, ils ont dus selon les circonstances, s’adapter, résister, composer avec elle. D’autres fois, la partager sans autre choix et quelquefois créer un nouvel idiome composite, et donc presque toujours s’engager dans un long travail de métissage. Métissage quelquefois heureux et créatif mais assez souvent douloureux car impliquant de perdre ou de voir transformer, à la force du glaive ou du discours des missionnaires, une culture et sa ou ses langues premières. Ce fut le cas dans la Gaule antique suite à l’installation des envahisseurs romains, dans les Amériques lors des arrivées des européens ou encore en Afrique du nord ou sub-saharienne au cours du 19e siècle et dans bien d’autres contrées encore. Le passage d’une langue à l’autre n’est donc pas qu’une réalité contemporaine liée aux flux migratoires de l’époque mais une longue suite de rencontres linguistiques et culturelles plus ou moins heureuses, plus ou moins choisies.

 

Des Constats partagés

 

Les diverses interventions et les débats nous ont permis de faire, voire de partager, quelques constats et ils ont fait surgir de nombreuses questions. Ainsi, l’un des tous premiers intervenants nous a rappelé l’existence d’un cercle vertueux, à savoir que la maîtrise de la langue permet l’accès à la culture et que la culture permet l’accès à la langue. Ce qui implique pour les acteurs de l’éducation des jeunes et des adultes de travailler dans cette double dimension, cette double dynamique. Une telle démarche, semble-t-il,  facilite le partage et la reconnaissance réciproque des cultures en présence, valorise les apprenants. Elle favorise les échanges linguistiques et l’utilisation de la langue d’accueil. Accueil qui, à terme, autorise à l’intégration et ou l’assimilation[1] pour peu, comme le proposait déjà Bertrand Schwartz dans les années 1980 pour les jeunes, qu’il y soit associées des possibilités de se soigner, de se loger et de travailler. L’accès à la langue du pays hôte étant de facto nécessaire mais non suffisante.

Migrer d’une langue à l’autre implique des processus de changement identitaire encore mal connus, faits de renoncements, de découvertes, de joies et probablement de pleurs surtout si l’on souhaite pour soi, et, ses éventuels enfants, ne pas renoncer à sa langue et à sa culture d’origine. Transformation(s) de soi tant du point de vue psychologique, sociologique, cognitif qui nécessite(nt) une posture d’ouverture importante à des réalités « étrangères » ou pour le moins étranges et souvent déstabilisantes. Constat évident qui ne dit rien du processus de construction-déconstruction-reconstruction dans lequel les individus doivent s’engager. Parcours singulier probablement propre à chacun et pour une part surdéterminé par les histoires de vies antérieures et les géographies. Au demeurant, cet exercice linguistique à base multiple, là les constats scientifiques convergent, est favorable au développement cognitif en particulier pour les enfants. Manipuler plusieurs langues, les manier et les métisser favorise, grâce à la plasticité cérébrale acquise, le travail intellectuel. Que cela soit le résultat d’une langue parlée ou signée comme le témoignage sur l’usage de la langue des signes durant le colloque l’a illustré ou encore qu’il s’agisse de la langue codée des images et des sgraffites utilisée comme médiateur culturel par l’association Alpha. Les échanges linguistiques directs ou autour de l’image ou de tout autre code sont autant d’occasion de confronter les représentations culturelles et de donner sens à des réalités jusqu’alors dépourvues de significations mais souvent « riches » de contresens. En d’autres termes, l’enrichissement des savoirs passe souvent, toujours (?) par l’usage de la langue, d’une langue.

De plus, autre constat, l’usage de la langue de l’autre dépasse la stricte logique linguistique, elle permet la découverte et l’acceptation de l’altérité. L’autre est sa langue et je suis la mienne, nous et elles sont différents, mais toute langue est porteuse de richesses et d’humanité. L’échange linguistique, le passage d’une langue à l’autre est producteur de reconnaissance mutuelle et de tolérance. Il est un acte linguistique à portée politique et sociale.

Une condition toutefois, il faut résoudre ce qu’un des intervenants a appelé un « conflit de loyauté ». Accepter sa culture d’origine sans qu’elle fasse frein à l’apprentissage de la langue et de la culture du pays d’accueil. Donc, ne pas renoncer à soi tout en acceptant nécessairement de changer et de s’accepter changeant. Il faut s’autoriser à « entrer dans la langue française » ce qui parfois implique des concessions culturelles et parfois des processus de deuil. Processus de même nature peut-être que celui décrit par Vincent de Gaulejac lorsqu’il s’agit de passer d’une classe à l’autre où, là aussi, se joue un conflit de loyauté entre deux mondes, deux cultures. Il convient donc pour les uns de dépasser un complexe de classe et pour les autres, peut-être, un complexe de langue.

 

 Des exigences

 

Au fil des interventions, quelques conditions sine qua non ont été pointées afin de permettre un passage facilité par des apprentissages d’une langue à l’autre, d’une culture à l’autre. La première d’entre elles est la professionnalisation des acteurs et en particulier des formateurs bénévoles ou non. En effet, la réussite du passage est mieux maîtrisée voire maitrisable lorsque les opérateurs de médiation y sont préparés. Condition d’autant plus nécessaire que les exigences du législateur sont de plus en plus fortes en matière d’usage fluide de la langue orale pour obtenir droit de séjour et plus tard de naturalisation. Exigences accrues qui sont aux dires des participants un véritable défi pour les apprenants,  les formateurs et les organismes de formation au regard des moyens octroyés pour y parvenir.

Une deuxième exigence en matière de formation est celle de la nécessaire place de la réflexivité dans les apprentissages. Il s’agit de permettre à chacun, là encore le défi est immense, d’accéder à la compréhension de sa propre langue afin de mieux comprendre par comparaison et réflexion le fonctionnement de la langue d’accueil. Travail de réflexivité dont l’objectif est de limiter les dissonances cognitives et les incompréhensions inhibitrices et de développer des aptitudes à entendre et à comprendre pour et chez les apprenants.

La troisième exigence dépasse la cadre de la professionnalisation, elle est d’ordre éthique. Accepter le plurilinguisme, renoncer à un espace où ne circule qu’une langue, une et indivisible, implique la reconnaissance mutuelle des altérités dans un monde où l’accélération de flux de population est de plus en plus important. En effet, quelles qu’en soient les causes, pauvreté, guerre, religion, commerce… les mouvements de populations sont toujours plus importants et les allophones toujours plus nombreux. Il convient donc de reconnaître ce phénomène et de faire de ce pluriel d’humanité une richesse à partager. Le plurilinguisme n’en étant qu’une manifestation, qu’une occasion de plus et qu’une conséquence, favorables au partage de la richesse du monde et de ses cultures.

 

Un florilège

 

Au-delà du sérieux des échanges, le colloque a aussi été marqué, selon moi, par sa dimension poétique. Dimension qui derrière la formule révèle souvent une dimension politique et sociale profonde comme tout catalogue à la Prévert. A savoir ces propos d’une apprenante :

« vivre sans lire et sans écrire, c’est marcher dans le noir »

Ou bien ceux des amérindiens qui ne parle pas une langue mais qui déclarent dans un autre rapport à la leur :

« respirer une langue »

Ou cette association Dulala dont l’objectif explicite est de privilégier les échanges interculturels et de :

                        « faire parler les langues »

Ou quelqu’un de déclarer :

                        On ne parle pas une langue, c’est une langue qui nous parle »

Ou pour continuer en lien avec les mouvements et les brassages de population ci-dessus évoqués, faire état d’une :

                        « créolisation du monde »

Faisant suite elle-même, résultat de la colonisation à un :

                        « créole magrébin »

Ou encore à cette belle image d’un poète marocain évoquant de l’«étranger professionnel » en lien avec les accueillants qui à leur manière sont aussi, pour moi,  un peu  les « professionnel de l’étranger ».

 

 Et enfin de nous rappeler que sans renoncer à la qualité des apprentissages et des usages de la langue, il ne fallait par confondre une langue qui reçoit et une langue qui sous prétexte de pureté et d’élitisme rejette, exclue ou se rend inaccessible. Bel idéal, là encore concentré dans une belle formule qui opère la distinction entre :

                        « une langue hôte et une langue haute »

 

Des pistes

 

Si ce colloque nous a permis de partager quelques constats et de poétiser pour le dire comme Léo Ferré, il a aussi fait émerger quelques pistes de travail et de réflexion. Il convient sans doute encore d’approfondir nos connaissances par la recherche et l’expérience quant au bienfait du bilinguisme (trilinguisme ?) dans le développement cognitif des enfants et des adultes tant pour les allophones que pour les francophones utilisant encore une autre langue dite seconde. Enfants de Guyane ou des Antilles, enfants des écoles Diwan ou des Calandreta où se parlent les occitans ou encore enfants des « quartiers » ou le plurilinguisme est coutumier. Recherche que l’on pourrait pousser dans ses retranchements ultimes et polémiques sur l’intérêt d’apprendre une langue ancienne et « morte » pour d’autres.

Autres pistes de recherche entre ouvertes, plus sociologique, celle d’un changement de posture face à sa langue d’origine et sa transmission aux enfants. Il était fréquent dans les années 1950 et au-delà de refuser de transmettre la « langue du pays » aux enfants afin de leur permettre une assimilation/intégration plus rapide, si ce n’est plus facile. Il semblerait à l’écoute des échanges et au gré des flux de migration et des facilités de communication (télévision satellitaire et internet…) que les choses aient changé et qu’il est peut-être plus aisé aujourd’hui de conserver sa langue et sa culture tout en entrant dans la langue et la culture du pays hôte.  Car si appartenir à un lieu « c’est parler sa langue », parler une ou plusieurs langues permet plus facilement d’« d’habiter le monde »[2].

 

Enfin, ce colloque a mis en résonance pour moi quelques autres questions. La première celles des langues qui chaque jour disparaissent faute de locuteurs et de transmission. Ce qui de fait marque non seulement la fin d’une langue mais aussi la fin d’une culture dont la plupart du temps nous n’avons pas capté toute la richesse. Une langue de moins c’est aussi une bibliothèque qui a brûlée. L’autre parallèle que j’aimerais faire pour terminer, c’est celui presque incontournable dans certains milieux (les affaires ou plutôt le business, la recherche et ailleurs) du passage d’une langue et d’une culture à l’autre, en d’autres termes de la prévalence de plus en plus forte de l’anglais ou pour le moins d’un anglais fut-il appauvri et créolisé. Certes, l’anglais fut une grande langue de savoirs et de culture mais aussi une grande langue coloniale et donc la langue d’une double domination, mais sa sphère d’influence était jusqu’alors limitée. Qu’en sera-t-il demain de son influence et de l’obligation pour tous ici d’entrer dans un plurilinguisme « anglophone » et d’acquérir de nouvelles compétences linguistiques dont pourraient dépendre l’insertion sociale et professionnelle de chacun.

 

Conclure  

 

Impossible de conclure, tant les questions restent nombreuses sur ce passage  délicat et parfois incontournable, d’une culture à une culture autre, à une culture hôte. Au reste, aux yeux des participants du colloque Initiales de 2016, les langues demeurent une clé d’entrées essentielles dans les cultures et la culture. Il convient donc pour les plus jeunes, allophones ou non, d’acquérir non seulement le français « langue de scolarisation » mais aussi tous les outils à disposition à disposition pour en faire une langue d’émancipation.

 

Hugues Lenoir, octobre 2016.

 

[1] J’utilise à dessein les deux termes afin de ne pas entrer dans une polémique le plus souvent stérile

[2] Propos d’intervenants

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