VAE : Mission de service public ?

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VAE : Mission de service public ?

 

Introduction problématique

 

Les Services communs de formation continue des universités ont toujours été considérés par leurs acteurs comme relevant des missions des services publics même si le cadre réglementaire dans lequel ils s’inscrivent – loi de 1984 sur l’orientation des universités – les contraint à l’autofinancement et à l’équilibre budgétaire.

Ils apparaissent donc, de manière un peu paradoxale, comme des éléments du service public d’éducation permanente sans les moyens et les dotations nécessaires au bon fonctionnement du service public.

Comment dans un tel contexte mettre en œuvre la validation des acquis de l’expérience (VAE) dans les universités ?

Comment faire de la VAE, au-delà du droit individuel lié à la Loi de Modernisation sociale et à la réforme du livre IX du code du Travail, une mission de service public permettant à chacun (e) de valoriser ses savoirs de l’expérience ?

Comment en faire l’un des ressorts de l’apprentissage tout au long de la vie autorisant la reconnaissance, la validation et la certification des savoirs de l’action ?

Comment veiller à ce que la validation des acquis participe de la qualification et non de la simple collation de compétences ?

En bref, comment l’inscrire dans la durée face à l’obsolescence des savoirs et de leur reconnaissance ?

Comment à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Université se prémunir de toute suspicion quant à une dévalorisation des diplômes acquis par l’expérience et  garantir à chacun (e) que les titres issus de la VAE auront même valeur et même reconnaissance sociale et professionnelle que ceux obtenus par l’éducation initiale ou la formation continue ?

Notre communication tentera, au travers de l’expérience du Centre d’Education Permanente (CEP) de l’Université de Paris X et du projet FIT (formation interactive tutorée) de vous faire partager nos interrogations.

Quant aux réponses, elles  restent largement à construire collectivement.

Néanmoins, nous argumenterons dans le sens de la mise en place d’un service public de validation des savoirs d’action.

 

Du service public de validation

 

Depuis longtemps engagés comme acteurs dans le service public d’éducation permanente, l’application du décret de 1985 et de la loi de1992 sur la validation des acquis, nous est toujours apparue dans le prolongement naturel des missions de l’Université définies par la loi d’orientation des universités de 1984.

Mission de service public, il faut le souligner à nouveau, assumée sans les moyens du service public.

Ce qui les contraints à s’inscrire au même titre que les organismes privés sur le “marché de la formation”, demain sur celui émergeant de la validation, à faire payer leurs “prestations de service” et, dans trop de cas, à fonctionner avec à des personnels précaires puisque contractuels.

Malgré, cette contradiction apparente, nous considérons que la validation s’inscrit dans notre mission d’éducation permanente, même si nous sommes bien conscient que sa mise en œuvre et la question de son financement risque de renforcer  un état de fait et une situation que nous déplorons.

Néanmoins, il  nous apparaît que la validation des acquis de l’expérience est une relance de la généreuse utopie de l’égalité des chances, qu’elle est un nouvel outil pour tenter de concrétiser un peu ce vieux mythe.

Même si, par ailleurs, nous ne sommes pas dupes des processus de reproduction à l’œuvre dans le système de formation des adultes qui généralement creuse les inégalités plus qu’il ne les comble[1].

Cependant pour que la VAE œuvre à plus d’égalité, il est indispensable qu’elle s’appuie sur les valeurs et les modes de fonctionnement du service public, à savoir et en particulier : l’égalité d’accès et l’égalité de traitement.

Principes essentiels, dont les conditions ne nous semble pas réunis à ce jour.

En effet, l’égalité d’accès dépend largement du niveau de formation de chacun et l’on sait qu’en matière d’information sur la formation en générale et sur la VAE en particulier[2], il y a des citoyens plus égaux que d’autres rendant du même coup l’exercice du droit improbable et d’une certaine façon inégalitaire.

De plus, l’égalité d’accès, implique la mise en place, sur tout le territoire, d’un réseau à mailles serrées de lieux d’accueil et d’accompagnement de la VAE animés par des personnels compétents et professionnalisés sur ces questions, et là, nous en sommes encore très loin du compte.

Enfin, l’égalité d’accès dans une logique de service public devrait être sous-tendue par un principe de gratuité, seule garantie réelle de libre accès.

Les mesures de prises en charges publiques ou sur les fonds mutualisés de la formation n’étant à notre sens qu’un pis aller.

Quant à l’égalité de traitement, elle n’est pas sans poser de redoutables questions.

La première concerne les accompagnateurs de la VAE.

Quelle formation leur offrir pour leur permettre de tendre à cette égalité sans tomber dans des recommandations et des méthodologies bureaucratiques et uniformisantes qui tueraient l’idée même de validation des acquis

en ce qu’elle renvoie de manière irréductible à des expériences uniques, à des parcours singuliers, à des savoirs individuellement constitués au hasard des expériences et des situations de travail.

Toute pratique modélisante apparaît dès lors comme contradictoire avec une réalité qui ne relève d’aucun modèle absolu.

La seconde question concerne les acteurs, les lieux de validations et les valeurs qu’ils portent.

Dans le cadre d’une validation de l’expérience étendue, possible pour tous les titres, comment concilier les valeurs et les pratiques de l’AFPA, celles de l’Education Nationale, celles des CCI… dans un ensemble cohérent offrant de réelle garantie en matière d’égalité de traitement ?

Comment faire pour que tel acteur dans tel lieu “mesure” et valide un savoir expérientiel produit par une activité sociale, comment faire pour que tel autre acteur dans un autre lieu puisse appréhender la valeur d’un savoir du travail et émettent des avis convergents et réciproquement reconnus ?

Certes, l’hypothèse d’espace interdisciplinaire de validation, où se côtoieraient spécialistes des savoirs académiques, des savoirs du travail et des savoirs de la vie, est toujours formulable mais dans la réalité, le coût social d’une telle mobilisation d’expertise est-il vraisemblable ?

La troisième question oblige à une réflexion éthique qui ne sera pas sans conséquence sur la posture de l’accompagnateur et sur la méthodologie utilisée.

Doit-on procéder de la même façon et parvenir au même résultat quelle que soit le “candidat” et la nature de sa démarche ?

Doit-on ou non tenir compte des usages sociaux qu’il souhaite faire de la validation de ses acquis ?

Valider des acquis dans le cadre d’un objectif de construction identitaire est-il équivalent à les valider afin d’obtenir une qualification ou une certification ?

La validation pour soi ou à des fins de reconnaissance sociale procède-t-elle des mêmes mécanismes et des même règles ?

Jusqu’où pousser l’investigation dans la recherche et la collecte de l’information “pertinente” dans l’un et l’autre cas.

Comment veiller au respect absolu de l’individu en usant de procédures socialement acceptées mais dont les conséquences de différentes natures – économiques, psychiques, sociologiques – ne sont pas sans effet ?

Ne doit-on pas dès lors engagée une réflexion sur l’éthique de la validation, intégrée à une éthique du service public ?

Les enjeux de la validation, individuellement et collectivement, sont protéiformes et croisés, ils relèvent autant de la légitime reconnaissance du sujet que d’impératifs socio-économiques[3].

Comment dans l’acte d’accompagnement tenir compte de ces dimensions et de ces enjeux en respectant le principe d’égalité ?

Ainsi, au-delà des moyens publics nécessaires qui n’existent pas à ce jour, de quelle doctrine sur la valeur des savoirs de l’expérience se doter, de quels professionnels s’entourer ?

Quels outils d’investigation construire, pour faire de la validation une authentique mission de service public en accord avec les valeurs qui la fonde ?


Une incontournable évolution

 

Confronté à de telles questions le service public d’éducation en général, et, le service public d’éducation permanente en particulier, ne peuvent rester inactifs et rigides face à un droit novateur et fondamental qui permettra à chacun(e) un accès facilité à l’Education tout au long de la vie et à une dignité réelle et garantie dans la société cognitive à venir que l’Union européenne prépare.

La froide norme AFNOR qui définit la notion  d’acquis et celle de validation ne nous dit rien sur la révolution culturelle que devront opérer les structures d’éducation traditionnelles et leurs personnels.

(“l’ensemble des savoirs et savoir-faire dont une personne manifeste la maîtrise dans une activité professionnelle, sociale ou de formation” et celle de validation comme “selon les situations, procédure mise en œuvre en vue d’une reconnaissance institutionnelle des acquis ou acte officiel par lequel ces acquis sont reconnus) .

Pourtant, il est évident que la mise en place de la VAE entraînera des modifications tant dans la conception que dans les pratiques éducatives.

Pour éclairer notre propos nous nous limiterons à évoquer le cas des universités qui pour satisfaire à cette nouvelle mission devront engager une réflexion et de profondes évolutions.

Il est cependant probable que les autres structures éducatives, elles aussi, devront se modifier afin d’intégrer cette révolution copernicienne.

Valoriser et reconnaître les savoirs de l’expérience pour l’université n’est pas nouveau, mais jusqu’alors l’expérience était réduite à une conception fort réductrice car, dans la quasi totalité des cas, ne prévalait que sa dimension cognitive.

Elle validait le plus souvent des savoirs dans le cadre de dispenses.

Elle ne formulait qu’une reconnaissance de niveau et n’émettait que des hypothèses de réussite en appliquant le décret de 1985.

La validation des acquis conduit, tout au contraire, à analyser à des fins de reconnaissance une expérience externe et à valider des connaissances d’usage issues de pratiques sociales et/ou professionnelles.

Il y a bien dans cette problématique “nouvelle” des germes de renversement dialectique que l’université doit assimiler sans se renier pour autant.

C’est dans ce contexte et dans cette perspective que doit se réfléchir, dans le cadre du service public, la mise en œuvre de la validation des acquis dans l’enseignement supérieur.

La validation de l’expérience aboutit de facto à une interrogation de fond sur la nature et sur les formes de l’évaluation des savoirs.

L’université sur ce plan doit remettre en question des pratiques héritées d’une tradition académique et élitiste.

C’est à ce prix que la validation prendra sens dans cet univers et qu’elle deviendra un atout de plus dans le processus de démocratisation de l’enseignement supérieur.

L’accès à ce dernier pouvant ce faire à tout âge sans autre pré-requis que celui d’une expérience significative en lien avec une formation et un diplôme.

La validation apparaît alors comme un levier pour lever certaines pesanteurs et assouplir certaines rigidités, voire même comme une occasion inespérée de modernisation de l’Université.

Cette réflexion sur l’évaluation permet en effet de passer d’une logique de l’épreuve à une logique de la preuve[4], preuve d’un savoir construit dans et par l’expérience

détenu par un candidat qui ne vient plus pour apprendre mais pour faire émerger et reconnaître des savoirs acquis sur d’autres modes et dans d’autres circonstances et auxquels il s’agit d’assigner la même valeur qu’à ceux acquis en situation académique d’éducation.

Un tel bouleversement modifie le rapport au savoir qu’entretiennent les universitaires et à travers eux la société tout entière.

Ils n’en sont plus les uniques producteurs et les seuls évaluateurs mais seulement des acteurs dans un lieu de production de savoirs comme un autre un tel changement à de quoi inquiéter, on en conviendra, les gardiens d’une organisation conservatrice et pluriséculaire.

Inquiétude renforcée, dans cette perspective, par une évolution fondamentale du rôle de l’enseignant et de membre de jury qui tout en renonçant à être dispensateur de la connaissance, accepte d’en demeurer l’évaluateur et bientôt dans le cadre de la loi de modernisation sociale de devenir un prescripteur de parcours éducatifs complémentaires qui n’impliquent pas nécessairement un retour dans un système d’éducation formelle, tout en conférant à l’enseignant des missions tutorielles qu’il ne maîtrise pas encore.

Au-delà, il conviendra sans doute, à terme, d’intégrer au service des enseignants-chercheurs cette activité pédagogique.

Pour s’affirmer comme service public et fonctionner dans des conditions optimum, il convient de prendre en compte cette réalité et d’accompagner ses évolutions.

Autre exigence qui conditionne la mise en place d’un service public de validation, c’est celle d’une reconnaissance et d’une professionnalisation des personnels d’accompagnement qui pour conduire à bien cette mission développent de nouvelles compétences et de nouvelles expertises.

Travail d’accompagnement indispensable à une réelle expertise des candidatures, à l’évaluation et aux décisions “éclairées” des jurys.

De ce travail préparatoire d’accompagnement – dont les effets formatifs sur les individus ne sont plus à démontrer[5] – dépend aussi bien la netteté des décisions du jury que la qualité du service public rendu aux usagers.

Dans le même mouvement, il sera nécessaire de faire évoluer la structure universitaire

– tant sur le plan pédagogique, en particulier la gestion des emplois du temps, pour offrir de réelles possibilités de poursuite des parcours issus des préconisations des jurys de validation

– que sur le plan de l’organisation afin de favoriser un accompagnement et un suivi administratif individualisé des candidats et des possibilités d’inscription élargies.

 

En conclusion

 

La question d’un service public de validation des acquis de l’expérience apparaît donc, à la fois comme une question idéologique au sens où elle percute des systèmes de valeurs autant que technique et pédagogique dans la mesure où elle implique de repenser des modalités de fonctionnement et d’organisation.

 

C’est en prenant en considération cette double dimension qu’il paraît possible d’étendre à la validation de l’expérience la mission de service public des établissements d’enseignement supérieur.

 

Hugues LENOIR

CEP-CRIEP/Paris X

 


[1] Le rapport “Péry”  (1999), La formation professionnelle : diagnostics, défis et enjeux, réalisé par l’équipe du Secrétariat d’Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle, propose une bonne synthèse de l’inégalité face à la formation.

[2] Cf. : Inffo Flash n° 525, août 1999 et L’Express du 26 avril 2001.

[3] Voir Lenoir H., Les usages sociaux de la validation des acquis, Actualité de la formation Permanente, n° 163 et 164 et Inffo Flash, n° 572, août 2001, p. 13.

[4] Expression d’Agnès Veihlan, responsable de la VAP-VAE à Paris III.

[5]  Se reporter à Lenoir H. (2001), Considérations sur l’expérience et sa valeur, à paraître.

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