Formation de formateur

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Formation de formateur : 

De la double dimension culturelle et professionnelle 

 

Après avoir été un DUFA (diplôme universitaire de formation des adultes) durant une dizaine d’années la formation des formateurs de niveau II à Paris X, intégrée au Service Commun de Formation Continue (aujourd’hui CREFOP) par choix pédagogique et politique, a été transformée en licence professionnelle (LP) en 2008 afin d’en faciliter l’accès au titre du congé individuel de formation des salariés ou des prises en charge des demandeurs d’emploi par la région Ile-de-France. Mais aussi face au refus du Ministère de l’éducation nationale d’inscrire des DU au RNCP s’il existait un diplôme d’état de même niveau. Une offre certifiante nationale étant considérée par certains partenaires comme plus reconnue et plus facilement valorisable sur le marché de l’emploi. 

 

Professionnalisation, Certification, Culture de métier

 

Cette transformation institutionnelle, hormis quelques contraintes organisationnelles, n’a pas fondamentalement changé la philosophie de ce cursus. Issue d’une analyse des besoins individuelle et sociale toujours réactualisée, cette formation de formateurs s’inscrit à la croisée d’une double volonté, à la fois de professionnalisation et de certification spécifiques mais aussi de partager la culture de métier associé au « bel ouvrage », du travail bien fait. Professionnalisation au sens de la maîtrise raisonnée des savoirs de métiers, théoriques et pratiques, adaptés aux différents publics et aux différentes circonstances de l’exercice de l’activité. Culture de métier qui offre la possibilité de s’inscrire en conscience dans un courant éducatif en identifiant les valeurs et les conséquences de ces dernières sur les apprentissages, les apprenants et la posture du formateur avec en corolaire le choix d’outils pédagogiques appropriés aux fins.

L’objectif de cette formation qualifiante et certifiante centrée sur le face à face pédagogique vise à appréhender et à maîtriser les aspects pédagogiques et situationnels des différents niveaux de l’acte de formation. Cet apprentissage, dans un certain nombre de modules, fondé sur la Liberté pour apprendre préconisée par Carl Rogers, autorise les apprenants à expérimenter toutes les méthodes et tous les ressorts offerts pour l’acquisition par autrui de connaissances de toute nature, voire à oser la prise de risque et l’innovation. L’apprentissage consiste donc, à partir d’un thème librement choisi à circonscrire et à affiner tout d’abord par la recherche d’informations pertinentes en micro équipe d’investigation puis en à faire partager les résultats. Ce partage est réalisé suite à l’élaboration empirique d’outillage et de situations éducatives mis en œuvre en grandeur réelle devant et dans le collectif d’apprenants-stagiaires. Le processus est clôt par une évaluation formative de la « performance » produite par les acteurs eux-mêmes, à savoir les stagiaires-responsables de la séquence éducative puis par le collectif des apprenants et le « formateur » lui-même en position de facilitateur. Ce dispositif relève à la fois de l’acquisition de savoir par la recherche et par le « tâtonnement expérimental ».

Ce cursus se réclame donc de valeurs éducationnistes explicites à savoir celles d’une éducation permanente émancipatrice, citoyenne, promotionnelle et humaniste se réclamant à la fois de Condorcet ou de Lepeletier de Saint-Fargeau, de Fourier, Ferrer , Faure ou Freinet voire pour la période contemporaine Freire, Hess et bien sûr Rogers pour n’en citer que quelques-uns. Valeurs qui n’empêchent pas cette formation de demeurer  inscrite dans le principe de réalité, tant celui qui prévaut en matière de formation en entreprise et des logiques du travail que celui du secteur associatif ou de l’éducation populaire. En effet, cette LP, même si elle vise l’acquisition d’un appareil critique sur la réalité pédagogique, politique et socio-économique de la formation des adultes, doit permettre aussi, non pas dans un cadre idéal mais dans le monde tel qu’il nous est donné, d’exercer le métier de formateur. A cette fin, une fois le deuil fait de l’idéal, toujours à rechercher, elle ouvre des possibles afin de trouver un équilibre et des pouvoirs d’agir entre le dire et le faire, entre éthique de conviction et éthique de responsabilité.

Le public visé et reçu dans cette licence professionnelle relève de deux profils. L’un minoritaire (15 % environ), celui des formateurs expérimentés, formés sur le « tas »,  qui ne souhaitent pas s’engager dans une VAE mais qui sont en recherche de théorisation et de confrontation de leur expérience avec d’autres praticiens et les savoirs académiques en matière d’éducation des adultes. L’autre profil, majoritaire, est constitué de « gens de métiers », experts dans leur champ professionnel de compétences qui désirent devenir formateurs dans leur domaine mais qui, avant de se lancer dans la grande aventure pédagogique, estiment nécessaire et souvent indispensable de se former aux principes, outils, méthodes… voire de comprendre les enjeux sociétaux de la formation tout au long de la vie professionnelle afin de se situer dans un environnement nouveau, d’en percevoir les valeurs, les contradictions et d’en analyser les pratiques.

La professionnalisation spécifique de cette LP est centrée sur le face à face pédagogique considéré comme le cœur de métier du champ professionnel. Elle a pour finalité l’utilisation des méthodes et outils mobilisables en formation des adultes et la compréhension des mécanismes d’apprentissage car nous faisons l’hypothèse que, quel que soit le devenir professionnel ultérieur des stagiaires dans les métiers de la formation, la maîtrise des situations d’apprentissage est essentielle à l’intelligence des enjeux et à l’atteinte des objectifs individuels, collectifs et organisationnels. Ainsi, notre formation de formateurs et surtout de facto de formatrices (F de F par la suite) s’inscrit dans une logique d’acquisition de compétences transférables en veillant à l’opérationnalité des outils méthodologiques et des concepts, à leur adaptabilité aux conditions réelles d’exercices de l’activité. En d’autres, termes, en recontextualisant en permanence les usages possibles des apprentissages. En cela, la Licence professionnelle de F de F se réfère, sans toutefois s’y laisser enfermer, à la fiche Rome 22 211 et se décline en compétences dans le cadre de son inscription au Répertoire nationale des certifications professionnelles (RNCP).

Néanmoins, afin de comprendre dans quels environnements le face à face pédagogique se joue aujourd’hui, le cursus intègre à la fois une sensibilisation aux technologies contemporaines d’éducation (FOAD) et à l’ingénierie de dispositif de formation en tant que clé d’appréhension des contextes de réalisation des pratiques pédagogiques.

La culture de métier vise quant à elle, au regard de l’histoire, de l’économie, de la sociologie, de l’analyse des pratiques…, à permettre aux stagiaires de se professionnaliser et de s’engager dans la voie du praticien réflexif en capacité d’interroger les actes et les contextes de la formation autant que le lien emploi-formation, formation-insertion… Elle a donc pour objectif affiché de développer la distance critique, une recherche de conceptualisation, un refus de l’instrumentalisation du praticien, une réflexion éthique de et sur l’action.

De plus le choix, dès le DUFA, d’un stage pratique et aujourd’hui de l’alternance (420 h) participe de ce double mouvement : professionnalisation/culture de métier. En effet, les lieux d’accueil des stagiaires favorisent la professionnalisation, à la fois, lors de la rencontre avec les tuteurs et les autres professionnels et/ou lors de la mise à l’épreuve et de la confrontation des savoirs et des méthodologies d’action avec le réel. Quant à la culture de métier, elle peut s’interroger, se construire, voire se développer et se partager dans le travail en commun, suite à des observations croisées de pratiques, par des échanges entre pairs…

La Formation de Formateurs s’inscrit donc dans une double dimension, celle de la poièsis et de la praxis. Poièsis car elle a l’ambition de développer chez les stagiaires le pouvoir-inventer, le pouvoir-penser ; praxis car elle a l’ambition de développer le pouvoir-agir voire le pouvoir d’agir et de faire agir. Du point de vue des pédagogies mobilisées, la F de F se revendique des pédagogies actives et plus particulièrement de la pédagogie du projet, de l’autogestion pédagogique et de l’ingénierie coopérative. Il est donc proposé aux stagiaires de multiples situations d’apprentissages dans lesquelles ils prennent part comme acteurs de plein droit à la co-construction des thèmes abordés (hormis certains incontournables) et des objets de travail et de réflexion choisis. En fin de parcours, les stagiaires réalisent une justification théorique de leur choix sur une question pédagogique, justification qui clôt le cycle et conduit à une conceptualisation académique mais dont la finalité est aussi un engagement à une théorisation autonome ultérieure.

L’équipe pédagogique pluridisciplinaire est composée assez largement de professionnels consultants extérieurs à l’Université, exerçant en cabinet ou dans des organisations, tous sont soucieux et garants autant de l’opérationnalité méthodologique que des acquisitions théoriques. Quant à la place des « enseignants » universitaires, ils sont d’abord issus du champ de la formation des adultes où généralement ils exercent. Là encore, une double dimension humaine et professionnelle qui garantit la qualité de notre biface théorie/pratique.

 

Professionnalisation et référentiel

 

L’évolution de l’ancien DUFA en Licence professionnelle et son inscription dans au RNCP a néanmoins impliqué de développer un référentiel de compétences qui de fait, hormis quelques modifications liées aux évolutions de la profession, a repris l’objectif de la formation et de les objectifs pédagogiques antérieurs du diplôme d’université (DU). Pensée depuis son origine comme une formation professionnalisante et certifiante, l’organisation en référentiel n’a ni changé les objectifs ni la philosophie du diplôme. Elle n’est donc pas apparue comme une contrainte normalisatrice nouvelle et réductrice. Soulignons que malgré cette mise aux normes de la professionnalisation institutionnelles, certains aspects du cursus échappent à cette logique procédurale tant du fait d’une volonté universitaire que de l’impossibilité d’y appliquer une norme quelconque.

Deux champs d’apprentissage, sont significatifs de ce contournement ou plutôt de cette a-normalisation. Le premier renvoie à des connaissances et à des concepts qui ne visent à aucune opérationnalité apparente et/ou immédiate, à savoir ceux qui relèvent de l’histoire, de la sociologie, de la psychologie cognitive voire de l’économie de la formation. S’ils visent à une compréhension critique du monde où s’exerce la profession de formateur, ils n’ont pas pour objectifs de développer de compétences au sens de la définition de savoirs en action en vue d’une réalisation concrète et d’une performance mesurable. Ils ont au contraire pour fonction d’interroger la norme et les tendances lourdes de la période, sans les rejeter pour autant radicalement, comme justement le « tout » professionnalisant, le « tout » emploi et le « tout » travail dans la sphère de l’éducation permanente des adultes au détriment d’autres formes d’action et d’autres valeurs comme celle relevant de l’Education populaire. Ce champ des savoirs en sciences humaines non directement transférables dans l’action n’a pour fonction que d’offrir des clés de compréhension, d’interroger les représentations et éventuellement de permettre des ouvertures cognitives.

 

Le second champ qui évite le piège de la normativité et du référentiel-compétence est celui de l’approche clinique, individuelle ou groupale, de et dans la relation formative développée dans la licence. En effet, si elle permet de s’interroger sur soi et son rapport (pédagogique) à l’autre et aux autres, elle ne se propose pas d’installer une compétence, toujours suspect de béhaviourisme, mais de permettre aux stagiaires une compréhension de ce qui se joue de soi et de l’autre dans l’espace et le temps de la formation et d’inciter chacun-e à une prise de distance critique afin de dégager ou de définir une posture compatible avec l’activité et dans le cadre éthique du respect de l’altérité.

 

Enfin, tout un pan des acquis et des compétences des apprenants de la LP échappe à l’équipe pédagogique. En effet, si elle est « garante » de la qualité de l’outillage et de la réflexion pédagogique, elle ne peut l’être des savoirs de métiers dont sont porteurs les apprenants et qu’ils se proposent, au sortir de la formation, de faire acquérir à de futurs professionnels de leurs secteurs socio-professionnels d’origine. Capital individuel de compétence qui est absent du référentiel de la LP centrée sur la gestion de la relation pédagogique et sur le face à face en éducation des adultes.

 

De plus, l’approche pluridisciplinaire de cette LP de formation de formateur s’inscrit par ailleurs dans un refus de la taylorisation des métiers de la formation visant à hiérarchiser les activités, les responsabilités et les rémunérations (même si elles le sont de fait). Ainsi, l’équipe pédagogique considère que tout professionnel de la formation au cours de sa carrière doit être en mesure d’accéder à toutes les fonctions du métier du face à face pédagogique, à l’ingénierie de formation et, à terme, au domaine du conseil. C’est pourquoi, même si elle est centrée sur la face à face pédagogique, son référentiel en atteste, elle aborde tant des savoirs transversaux issus des sciences humaines que ceux de l’ingénierie pédagogique et de formation…

 

Ainsi du fait de choix déjà affirmé lors de la création du DUFA, l’exigence institutionnelle et normative, n’a pas eu d’effets délétères sur le contenu et la dynamique de la LP de formateurs. Tout en refusant l’idée même d’un formateur « normé », « moulé au référentiel de compétence », « du technicien sans conscience », elle pourrait se réclamer, sans l’appareillage mystique, d’une forme contemporaine du compagnonnage, formation professionnelle qualifiante s’il en fut, tant dans la dimension éthique qu’opérationnelle. Ethique car la devise compagnonnique « Servir, ne pas se servir, ne pas asservir » pourrait être une de ses lignes de force. Opérationnelle du fait même de l’équipe pédagogique, composée très majoritairement de professionnels praticiens de la formation des adultes dont le parcours et la pratique pourrait s’inscrire dans une autre règle du même milieu à savoir : « apprendre, pratiquer, transmettre » ou plus précisément dans une logique plus compatible avec les pédagogies actives : faire acquérir et faire s’approprier connaissances et méthodologies en les référant à des valeurs fondatrices et structurantes de ce courant de la pensée éducationniste où projet d’éducation et projet de société ne sont en aucune manière dissociable.

 

Bibliographie indicative

 

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